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L’étrange prodige du mardi discrédite un peu plus la notion de “marché”

Le CAC 40 a inscrit mardi sa meilleure clôture de l’année 2013 à 3 966 points...

... C’était également la meilleure depuis le 6 juillet 2011.

" La Bourse de Paris a été littéralement tractée par la hausse de Wall Street. Cette envolée a été qualifiée d’inattendue… mais elle confirme un phénomène qui mérite désormais le nom de prodige puisque le Dow Jones aligne un 18ème mardi haussier consécutif ", écrit Philippe Béchade pour La Chronique Agora.

Les indices américains étaient anticipés stables ou en léger repli jusqu’au coup de cloche qui marquait la reprise des cotations à 15h30. Pourtant, les algorithmes haussiers sont entrés en action sans que personne ne sache à quoi relier cette furia acheteuse : aucune actualité identifiable, même pas une rumeur à se mettre sous la dent.

Le seul constat demeure donc celui que nous évoquions en préambule : le Dow Jones enregistre sa 18ème “hausse du mardi” sur 19. Que les chiffres économiques soient bons ou mauvais — ou qu’aucune statistique ne soit publiée durant 48 heures –, les indices américains grimpent systématiquement sans la moindre corrélation avec l’actualité du jour ou une inflexion des perspectives de profits futurs.

? Pourquoi le mardi ?

L’une des explications pourrait provenir d’un shoot additionnel de drogue monétaire par la Fed intervenant en secret le mardi… ou alors d’une véritable règle de fonctionnement imposée aux sherpas de Wall Street. Dans ce cas, reste à identifier d’où proviendrait le mot d’ordre — et surtout à comprendre pourquoi.

La seule certitude, c’est que 18 mardis haussiers sur 18 ou 17 sur 19 (dans le cas du S&P 500), cela ne doit rien au hasard. Le cumul des gains du mardi atteint d’ailleurs 12,5% en intégrant la séance du 2 janvier qui était un mercredi, en remplacement du 1er de l’an qui tombait un mardi — alors que le Dow Jones engrange 16% au total en 2013.

Cela prouve sans conteste que le “marché” n’en est plus un… D’ailleurs, il ne subsiste plus qu’une minorité de bisounours pathétiques pour prétendre qu’il pourrait constituer de près ou de loin le reflet d’une actualité économique favorable ou d’une évolution des paramètres macro-économiques modifiant positivement les anticipations des investisseurs.

? Les volumes disparaissent
Le troupeau des permabulls – dont les effectifs n’ont jamais été aussi nombreux — bêle sa foi en une hausse éternelle des indices boursiers. Et pendant ce temps, les volumes d’échanges continuent de fondre malgré l’enchaînement ininterrompu des journées de record historique.

La salle de casino a été désertée par les vrais joueurs — notamment à la table de poker où il ne reste plus que des robots-traders qui déposent mécaniquement leur mise avant de “jeter leur main” dès qu’une banque travaillant de concert avec la Fed (ou la BoJ) relance les enchères.

Il est trop évident pour tout le monde qu’elle abattra soit un carré d’as, soit une quinte flush si jamais un joueur s’était vu servir une paire de rois et en découvrait deux de plus lors du retournement des trois premières cartes (le “flop”, pour les connaisseurs).

Après 250% de hausse du S&P 500 depuis le 6 mars 2009 (et 249% pour être très précis hier soir) puis quatre années d’assouplissement quantitatif, nous ne voyons toujours pas l’envolée de Wall Street ni les liquidités de la Fed doper l’économie américaine, créer des emplois ou désendetter les ménages, dont les salaires continuent de chuter.

L’explication reste simplissime, comme en témoigne la litanie des records absolus qui mettent en extase les faiseurs d’opinion. Pourquoi les banquiers de Wall Street, reconvertis en day traders sans état d’âme, iraient-ils investir les liquidités de la Fed (ou de la BoJ) dans l’économie réelle ? Après tout, les gains potentiels y sont lointains et aléatoires — alors qu’avec le trading algorithmique, ils sont tout aussi certains qu’immédiats… et complètement défiscalisés via les filiales offshore.

? Dysfonctionnement psychologique et degré zéro du raisonnement économique
Un des commentaires récurrents martelé par de nombreux gérants à la clôture de Wall Street sur CNBC (et quelques heures plus tôt dans la bouche de David Tepper, le fondateur d’Appaloosa Management, qui affiche une confiance aveugle dans la stratégie de la Fed) est absolument éclairant.

Il résume à lui tout seul le (dys)fonctionnement psychologique du marché. “La Fed injecte tellement d’argent, le nombre de records alignés depuis un mois est tellement inexorable que les professionnels n’ont pas d’autre choix que de suivre le mouvement”.

La plupart des stratèges affirment comme un seul homme : “plus il y aura d’opérateurs pour penser que cette hausse est folle, déconnectée du réel, plus ils seront nombreux à redouter une correction (alors que la Fed fait manifestement tout pour l’empêcher)… et plus il y aura de pigeons à prendre à contrepied car il leur faudra absolument ramasser du papier pour coller au benchmark“.

Un tel discours — qui affirme en quelque sorte que la hausse n’a strictement aucune justification fondamentale mais que la logique des flux entretenue par les banques centrales fait que les actifs ne peuvent que grimper — est absolument identique à celui entendu lors de précédentes bulles majeures.

La seule raison d’acheter des valeurs mobilières, en dehors de l’alibi du “léger mieux qui se dessine” et que l’économie réelle attend toujours depuis quatre ans, devient l’absolue conviction qu’elles vaudront plus cher le lendemain, la semaine ou le trimestre prochain… parce que la hausse contraint les opérateurs — même les plus réticents — à entretenir la hausse.

C’est le degré zéro du raisonnement économique, l’apologie de l’irresponsabilité (“il y a de l’argent à prendre, on se moque de savoir si c’est justifié et quelles en seront les conséquences”). C’est la glorification du suivisme aveugle parce que les banques centrales ont toujours raison… même quand elles ne voient pas la catastrophe arriver, comme en 2000 ou en 2008. Normal : ce sont elles qui l’ont directement ou indirectement provoquée.

Laissons le dernier mot à Alan Greenspan : “je réalise avec le recul qu’une banque centrale ne devrait jamais imprimer un dollar de plus que la richesse additionnelle escomptée à l’issue d’une injection de liquidités”.

Qui de l’actuel patron de la Fed ou de son mentor est le plus fou ? Et de qui les recettes d’apprenti sorcier feront le plus de dégâts ? Nous parions volontiers sur “Monkey Business Ben” (ou “Ben la monnaie de singe”).

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Philippe Béchade rédige depuis dix ans des chroniques macroéconomiques quotidiennes ainsi que de nombreux essais financiers. Directeur de la rédaction aux Publications Agora et intervenant quotidien sur BFM depuis mai 1995, il est aussi la 'voix' de l'actualité boursière internationale sur RFI depuis juin 2002. Analyste technique et arbitragiste de formation, il fut en France l'un des tout premiers 'traders' mais également formateur de spécialistes des marchés à terme.

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