Comment la Fed fait chuter la roupie
Et, le CAC 40 efface ses pertes mensuelles.
" Il ne faut pas être naïf : la soudaine envolée du CAC 40, de l’EuroStoxx 50 et des indices américains hier entre 16h37 et 16h47 n’est pas survenue par hasard ", écrit Philippe Béchade pour La Chronique Agora.
Sur le moment, personne n’a su pourquoi les indices prenaient 0,5% en quelques minutes… mais n’importe quelle rumeur bidon évoquant un apaisement des tensions au Proche-Orient faisait l’affaire.
Il y a beaucoup plus intéressant à observer : par un merveilleux hasard (c’est ce vendredi la dernière séance du mois d’août), cela permettait par exemple au CAC 40 d’effacer ses pertes mensuelles, le bilan depuis le 31 juillet dernier repassant de -1% mardi soir à l’équilibre.
En ce qui concerne l’EuroStoxx 50, la remontée intraday de 2 733 points vers 2 760 points rend possible, sinon très probable, une fin de mois sympathique avec un indice clôturant au-dessus du point d’équilibre des 2 768.
N’oublions pas — surtout — que quelques influents opérateurs américains travaillant en étroite collaboration avec la Fed ont pour mission de redonner le moral aux épargnants américains. Nous sommes en effet à la veille du plus important week-end de l’année : le pont de trois jours que 90% des citoyens respectent scrupuleusement puisqu’il s’agit du Labor Day, l’équivalent de notre Fête du Travail du 1er mai.
Pas question de laisser de bêtes questionnements sur l’état général de l’économie ou des bruits de bottes au Proche-Orient plomber le moral des consommateurs et gâcher les barbecues du week-end.
▪ Quelles retombées en Syrie ?
Les marchés actions mesurent certainement assez mal quelles pourraient être les retombées d’un basculement politique majeur en Syrie.
C’est un pays très “central”, à mi-chemin entre la Turquie et l’Arabie Saoudite — les deux géants du Proche-Orient qui alimentent l’Europe en pétrole, soit via un réseau de pipe-lines soit comme producteurs de brut. La Syrie est également frontalière du Liban, considéré comme sa zone d’influence historique, et de l’Iran, allié objectif contre Israël.
Ce sont les marchés matières premières qui démontrent depuis de longues semaines que le risque géopolitique est pris très au sérieux. De leur côté, Wall Street et l’Europe s’en désintéressaient, anesthésiés par la morphine monétaire dispensée à grandes seringuées par la Fed.
Le baril de pétrole a très nettement franchi le seuil des 110 $ à New York mercredi (un zénith a été inscrit à 112 $), et il filait au-delà des 115 $ sur le Brent.
Il ne vous sera pas difficile d’évaluer la sévérité du choc pétrolier et du choc d’inflation qui frappent la dizaine de pays émergents dont les devises plongent depuis trois mois (et neuf mois en ce qui concerne l’Inde). Cela du fait de la crainte de voir les liquidités de la Fed se raréfier.
▪ Les devises mises à mal elles aussi
Les brasseurs d’argent se sont rués dès le milieu de l’été 2012 (en anticipation de la mise en place du QE3) vers des pays à fort potentiel de croissance. Les afflux de liquidités en provenance de la City, de Wall Street et de tout ce que la planète compte de paradis fiscaux allaient mécaniquement provoquer une appréciation exponentielle des indices boursiers des places émergentes.
Des opérateurs prudents avaient commencé à prendre des bénéfices ces derniers mois ; les imprudents prennent la fuite (ce qui est moins glorieux) depuis ces dernières semaines.
La débâcle de certaines devises a pris de telles proportions que les réserves de changes de plusieurs pays (Thaïlande, Vietnam, Cambodge…) semblent très insuffisantes pour enrayer la spirale baissière.
Deux émergents devenus des pièces majeures sur l’échiquier économique ont décidé de tirer leurs dernières cartouches jeudi matin. Il s’agit du Brésil, qui a relevé son taux directeur de 50 points de base à 9%, et de l’Indonésie (+0,5% également), avec un loyer de l’argent porté à 7%.
▪ Le cas de l’Inde pose lui aussi problème
Le krach de la roupie (-23,5% depuis le début de l’année) débouche sur effondrement du marché obligataire et une flambée symétrique des taux. Les autorités ne savent plus comment se dépêtrer de ce bourbier économique : si le taux directeur reste délibérément maintenu à 7,25%, l’inflation s’envole largement au-dessus des 11% en rythme annuel et les “taux marchés” sont naturellement bien plus élevés.
L’état de crise majeure est avéré — il s’agit bien d’un syndrome comparable à celui qui avait envoyé au tapis les pays sud-asiatiques en 1997. Les entreprises sont désormais incapables d’investir et les particuliers d’emprunter, les prix à l’importation explosent… Le seul espoir réside dans une soudaine inversion de polarité sur la roupie, dans l’hypothèse où les spéculateurs estimeraient avoir suffisamment gagné à la baisse.
La remontée du dollar survenue jeudi après-midi (+1,1% à 1,3220/euro) semble s’expliquer par la publication de statistiques américaines reflétant une embellie conjoncturelle inattendue.
▪ Surprises sur la croissance US… et la Grande-Bretagne
Les statisticiens de Washington ont largement retraité leurs chiffres. La croissance ressort à 2,5% contre un modeste 1,7% annoncé initialement. Par ailleurs, le chômage américain en données hebdomadaires recule de 6 000 à 331 000, ce qui constitue également un plancher en la matière depuis 2009.
Voilà qui risquait de relancer les spéculations sur un allègement des injections monétaires par la Fed dès le mois de septembre… Mais comme nous l’avons évoqué en préambule, pas question de laisser Wall Street gamberger à la veille d’un pont aux Etats-Unis.
Stopper l’hémorragie boursière du mois d’août (le Dow Jones lâche -4%, pire performance depuis mai 2012) était la priorité des sherpas du marché. Mission accomplie… mais il y a un élément qui ne colle pas : le VIX a grimpé de 2%, à 16,8.
La dernière surprise du jour est provenue d’Angleterre en fin de soirée avec le rejet par le Parlement britannique du projet de recours à des frappes militaires contre la Syrie… auxquelles l’ex-Premier ministre Tony Blair s’était montré favorable ces dernières 48 heures.
Il avait été tout aussi favorable à l’invasion de l’Irak en 2002, au prétexte d’armes de destruction massive dont ses propres supporters découvrirent très vite — mais un peu tard — qu’elles n’existaient pas.