Un vrai test pour la BCE, la dette espagnole et Mario Draghi
Le climat psychologique était devenu très sombre ces derniers jours
" Les commentateurs expliquaient vendredi aux épargnants que la tension sur les taux à trois ou cinq ans espagnols ainsi que le débordement du seuil technique des 6% sur le 10 ans marquent le retour d’un climat de défiance durable sur les dettes souveraines des pays du sud de l’Europe. En effet, la BCE ne peut pas prendre le risque de mettre en oeuvre un troisième LTRO qui s’apparenterait à une manœuvre désespérée ", écrit Philippe Béchade pour La Chronique Agora.
Les investisseurs attendaient fébrilement l’émission de bons du Trésor à 12 et 18 mois mardi matin — dont le remboursement ne devrait poser aucun problème, car c’est du très court terme. Mais ô surprise — et ô sinistre présage — les primes s’envolent littéralement de 120 et 140 points de base respectivement, à 2,62% sur 12 mois et 3,11% sur la tranche à 18 mois, contre 1,42% et 1,71% le 20 mars dernier.
▪ Euphorie sur l’émission obligataire espagnole
Au lieu d’afficher une mine déconfite, voilà que les “faiseurs d’opinion” se présentent sur les plateaux télé avec une mine réjouie pour célébrer le plein succès de l’émission obligataire espagnole. La demande a été bien plus forte que prévue et le Trésor a servi plus que les trois milliards d’euros constituant son objectif officiel.
Avec un rendement de 3,1% sur 18 mois (quand les OAT françaises à 10 ans affichent dans le même temps un peu de 2,98%), êtes-vous surpris qu’il y ait de la demande, alors que “couvrir” ce genre de papier par des CDS ne revient pas cher ? Et à 1,50% (au lieu de 1,42% sur du 12 mois), y avait-il la moindre demande ? Et à 2% ? Et à 2,5% ?
Ah, mais à 2,6%, c’était la ruée, mon bon monsieur ! Tout s’est donc très bien passé !
A peine sorti du port, le vaisseau amiral espagnol a pris deux torpilles à bâbord et trois torpilles à tribord. Il parvient néanmoins à faire demi-tour et s’apprête à couler au beau milieu de la rade !
Tout va bien, cependant : il sera plus facile de le renflouer à une encâblure des cales sèches que s’il avait coulé à pic sur les hauts fonds, au large de la côte.
Personne ne s’inquiète vraiment du fait qu’il n’est pas près de sillonner les mers ; du moment qu’un radar émerge encore au ras des flots, c’est presque une victoire !
Oui, vraiment, l’adjudication de ce 17 avril s’est admirablement bien déroulée !
▪ Les marchés européens festoient
Les marchés ont célébré cet heureux événement avec le faste approprié : le CAC 40, par exemple, s’est envolé de 2,7% et clôture au plus haut du jour.
Il en est allé de même sur l’ensemble des places européennes avec un Euro-Stoxx 50 qui a gagné 2,85% dans le sillage d’une Bourse de Milan qui flambait de 3,7%.
Oublions quelques instants le niveau des taux courts espagnols. La réalité, c’est que le climat psychologique était devenu très sombre ces derniers jours et le pessimisme largement majoritaire parmi les gérants. C’était le moment idéal pour retourner la tendance et prendre le consensus baissier à contrepied.
Le rebond de mardi s’est alimenté de rachats de découvert, notamment dans le secteur bancaire où des écarts de 7 à 8,6% traduisaient bien davantage une déroute en rase campagne des shorts que de vrais achats de conviction.
Pour amuser la galerie, certains stratèges affirment que les inquiétudes des marchés ces quatre dernières semaines sont désormais dans les cours. C’est le seul argument qui ne nous semble pas totalement dénué de fondement, car certains titres ont atteint ces derniers jours des cours ridicules ; mais si la tendance était demeurée baissière, les vendeurs à découvert auraient continué de s’acharner !
C’est pourquoi les investisseurs auraient décidé d’ignorer les avertissements de Christine Lagarde (“l’Europe n’est pas tirée d’affaire”)… la forte tension des taux courts en Espagne et en Italie… sans oublier le creusement des déficits aux Etats-Unis. Notons qu’au pays de l’Oncle Sam, le projet de taxation des riches et des ultra-riches (la Warren Buffett rule) a été (sans surprise) rejeté par le Congrès américain : il va falloir continuer à imprimer des dollars !
Cela tombe bien, Ben Bernanke adore ça !
▪ L’Espagne face à un vrai test
Mais à très court terme, c’est de la BCE dont les marchés vont se préoccuper. Le véritable test pour l’Espagne aura lieu ce mercredi avec une émission d’obligations longues. Voilà l’occasion pour Super Mario (Draghi) de faire savoir qu’il suit la situation de très près et entend agir pour stopper l’envolée des taux longs.
Si la BCE revient dans le jeu du refinancement des dettes souveraines, cela ne va pas plaire à Angela Merkel ou Wolfgang Schäuble. Mais à 48 heures du premier tour des présidentielles française, le gouvernement allemand fera tout pour éviter une polémique qui apporterait de l’eau au moulin de ceux qui jugent urgent de changer les règles du jeu en Europe et de redéfinir le rôle de la Banque centrale.
▪ L’euro reprend quelques couleurs
L’une des bonnes surprises du jour — en dehors de l’adjudication espagnole — c’est l’euro qui s’éloigne de la zone dangereuse des 1,30 $ pour tutoyer les 1,3150 $. Les cambistes invoquaient l’indice ZEW (du sentiment économique des milieux d’affaires allemands) qui monte à 23,4, au lieu de subir une décrue vers le palier des 20.
Le dollar a ensuite été affaibli par la baisse inattendue des mises en chantier, ainsi que par la stagnation de la production industrielle, pourtant attendue en hausse de 0,3% après avoir stagné en février. Enfin, le taux d’utilisation des capacités de production a baissé de 0,1 point à 78,6%, un niveau inférieur de 1,7 point à la moyenne de long terme (ce qui induit une dégradation du marché du travail).
Wall Street n’a pas tardé à s’envoler de 1,6% (S&P) à 2% (Nasdaq à 3 050), les investisseurs saluant cette salve de mauvais chiffres… qui fleurent bon le QE3 !