Articles & actualité

Pourquoi l'or a-t-il été freiné dans son élan haussier depuis août dernier

L'or n'a que faire de la crise.

Selon le Conseil mondial de l'or, qui s'appuie sur les chiffres du cabinet londonien GFMS, la demande de métal jaune a atteint 1 133 tonnes au troisième trimestre (T3) 2008, écrit Emmanuel Gentilhomme pour L'Edito Matières Premières & Devises. C'est 18% de mieux qu'un an plus tôt. Pourtant, le cours de l'once de métal fin ne monte pas franchement. Il semble plombé par quelque chose... la faute à un drôle d'oiseau statistico-spéculatif : la "demande déduite".

En valeur, ces centaines de tonnes d'or représentaient 32 milliards de dollars au troisième trimestre (+51% sur un an) : un record trimestriel "absolu". Les acheteurs sont revenus en force, une fois passé le pic des 1 023 $ atteint le 17 mars dernier sur le marché de Londres.

Qui sont donc les acheteurs ?
Toujours prédominante, la demande joaillère a retrouvé des couleurs -- sauf en Occident : 647 tonnes au T3 (+8% sur un an), à comparer avec les 444 tonnes du T1 et 512 tonnes au T2.

Grands consommateurs d'or, les Indiens sont les premiers facteurs de cette hausse (+40 tonnes, soit +29%), suivis par les pays du golfe Persique (+10%).

A l'inverse, les rangs des acheteurs industriels s'éclaircissent. A 104 tonnes, leur consommation a baissé de 11% tous secteurs confondus (industrie, électronique et dentisterie). La récession est passée par là...

Les investisseurs amassent toujours plus d'or...
Mais les plus gros contributeurs de la hausse de la demande se trouvent du côté des investisseurs. Ce que GFMS appelle la "demande d'investissement identifiable" -- pièces, lingots et ETF -- a décollé au T3 de 56%, à 382 tonnes.

Le Conseil mondial de l'or se fait un plaisir de mettre en avant les ETF aurifères, dont les encours mondiaux ont encore gagné 8% ce trimestre (+150 tonnes) et dépassent les 1 000 tonnes. C'est de bonne guerre : la plupart de ces placements d'"or-papier" sont co-organisés... par le Conseil mondial de l'or lui-même, qui profite donc des frais qui y sont attachés.

L'or physique remporte la palme... d'or : +60% !
Mais au sein de cette "demande d'investissement identifiable", la part du lion de la hausse revient à l'or physique. Voilà qui est nouveau : ces dernières années, c'étaient les ETF qui jouaient le rôle moteur.

Au T3 2008, la demande de lingots a grimpé de 69% à 101 tonnes, et celle de pièces de 60% à 61,2 tonnes. Principaux pays concernés : les Etats-Unis (+586% !), la Chine (+114%), l'Inde (+36%) la Suisse et l'Allemagne. Jusqu'à la Nouvelle-Zélande ! Je comprends mieux pourquoi les ateliers de frappe avaient du mal à faire face !

Historique : la France a cessé de déthésauriser au T3 !
D'ailleurs, je vous invite à jeter un coup d'oeil sur le graphe ci-dessous : il retrace l'évolution trimestrielle de l'investissement aurifère de détail (pièces et lingots) en Europe. Vous remarquerez que ces dernières années, la France était le principal pays d'Europe où l'or de détail se vendait plus qu'il ne s'achetait.

Demande au Retailinvestment GFMS

Ce n'est plus le cas au troisième trimestre, où les achats hexagonaux ont excédé les ventes de 1,5 tonne : la France "est devenue un acheteur net pour la première fois depuis le début des années 80", précise le Conseil. Si des Français continuent à revendre les Napoléons hérités de leur grand-mère,"une large vague de nouveaux acheteurs va arriver sur le marché".

Mais pourquoi les cours ne montent-ils pas ?
Bonne question à laquelle le Conseil mondial de l'or apporte un début de réponse. Une autre composante de l'or d'investissement a brutalement chuté au T3 : ce que GFMS appelle la "demande déduite" (inferred demand), qui est calculée en fonction des "résidus statistiques" qui trainent dans ses tableaux de chiffres -- selon ses propres termes.

Il s'agit principalement de "la demande d'investissement institutionnelle qui ne passe pas par les ETF". A quoi pensez-vous ? Aux couvertures des produits dérivés et indiciels sur l'or ? Aux positions massives et opaques que les hedge funds sont contraints de liquider pour couvrir leurs pertes ? Bingo !

Liquidations aurifères des fonds spéculatifs : 300 tonnes au T3 !
"La puissante amélioration de la demande d'investissement identifiable a été plus qu'atténuée par la réduction de la demande déduite", commente le Conseil mondial de l'or. Positive durant les trois trimestres précédents, l'inferred demand était de... - 296,8 tonnes au T3*, et se transforme en offre supplémentaire. Vous avez bien lu. Elle ne s'était jamais contractée aussi vite, ni aussi fort. Encore un record ! Soit le maintien des cours de l'or relève du miracle, soit ses fondamentaux sont véritablement solides.

"En bref, les décaissements de la demande déduite expliquent pourquoi le prix de l'or n'ait pas fait mieux ce trimestre, malgré une très forte demande de joaillerie, d'investissement de détail et des ETF", conclut le Conseil.

Même pour une valeur refuge, la vie n'est pas un long fleuve tranquille. La question est maintenant de savoir si la demande de pièces et de lingots se maintiendra, et comment se comportera la "demande déduite".

A suivre...

* Je note que faute d'être "identifiable" (et physique ?), cette "demande déduite" négative n'est pas prise en compte dans le calcul de la demande globale de 1 133 tonnes au T3 indiquée.

Emmanuel Gentilhomme est journaliste et rédacteur financier. Il a collaboré à plusieurs reprises avec le Journal des Finances et la Société Générale et contribue à la lettre électronique gratuite L'Edito Matières Premières . Il suit de près les marchés boursiers européens et étrangers, mais s’intéresse également à la macroéconomie et à tous les domaines de l’investissement.

Voir tous les articles de Emmanuel Gentilhomme.

 

Avertissement : Tous les articles publiés ici ont pour but d'informer votre décision, et non pas de la guider. Vous êtes seuls à pouvoir décider du meilleur placement possible pour votre argent, et quelque soit la décision que vous prenez, celle-ci comportera un risque. Les informations ou données incluses ici sont déjà peut-être dépassées par les événements, et doivent être vérifiées d’une autre source, au cas où vous décideriez d’agir. Voir nos termes et conditions.