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Nationalisation de Fannie Mae et Freddie Mac

La nationalisation de Fannie Mae et Freddie Mac s'impose

ni plus ni moins comme la plus massive de l'histoire du capitalisme : 5 000 milliards de dollars d'actifs sont concernés, et le Trésor américain s'engage sur le principe d'une recapitalisation à hauteur de 200 milliards de dollars "en cas de pépin", écrit Philippe Béchade pour La Chronique Agora.

Cela équivaut à
plus de 12 fois le coût final du sauvetage du Crédit Lyonnais et à 25 fois le "Kerviel" -- une unité baroque qui représente environ huit milliards de dollars -- pour situer ces montants qui défient notre imagination sur l'échelle du désastre financier.

Nous ajouterons pour la petite histoire que les nationalisations mises en oeuvre par François Mitterrand et Pierre Mauroy obligèrent l'Etat à débourser officiellement 39 milliards de francs -- mais le double selon le décompte effectué à l'époque par l'opposition. Ils furent plus que largement récupérés à partir de 1986 avec la première vague de privatisations organisée par le gouvernement Chirac. Ce fut donc, au bout du compte, une excellente affaire pour les finances de l'Etat français, après un démarrage quelque peu chaotique -- sur fond de réduction de la durée du temps de travail à 39 heures !

Même en estimant le coût global à 60 milliards de francs -- c'est-à-dire 4% à 5% du PIB de l'époque --, c'est à peine un dixième, à dollar constant, de ce que l'Amérique s'apprête à débourser à fonds perdus pour renflouer Fannie Mae et Freddie Mac. Et cela représente 13% du PIB des Etats-Unis aujourd'hui.

Et croyez-nous, avec 10% d'emprunteurs défaillants sur leurs prêts immobiliers, dont plus de 30% dans la catégorie subprime (souscrits en 2006/2007), il va y en avoir des pertes à éponger.

L'ardoise potentielle se monte d'ores et déjà à 500 milliards de dollars. Mais avec les sinistres prévisibles sur les créances de type "Alt-A", la barre des 20% de taux de défaut (comme en Angleterre au milieu des années 90) pourrait être atteinte d'ici fin 2009. Cela signifie 1 000 milliards de dollars de perte pour le Trésor américain, c'est-à-dire pour le contribuable qui n'a pas encore délocalisé une partie de son épargne offshore comme le font la plupart des multimillionnaires aux Etats-Unis.

L'Amérique n'en est pas à son coup d'essai dans ce domaine. La solution va consister à amortir ce trou dans le budget sur 30 ans comme pour la crise des caisses d'épargne 15 ans plus tôt, mais les montants en jeu sont cette fois cinq fois plus importants qu'à l'époque.

Le rebond des indices boursiers européens a été spectaculaire lundi en Europe mais il a cessé d'être d'ampleur historique à partir du milieu de l'après-midi, le rally initial des marchés américains s'avérant des plus fragiles -- mais pas autant, fort heureusement, que mardi dernier.

Les détenteurs de valeurs dites de croissance ne masquaient pas leur frustration à la mi-séance outre-Atlantique : le Nasdaq alignait une sixième séance de repli consécutive.

Même si les technos et les biotechs parvenaient à ressortir de la zone rouge en toute fin de parcours, les investisseurs pourront difficilement oublier que, trois heures après une ouverture en hausse de 1,5%, elles cédaient 0,8% en moyenne.

Il n'y en avait effectivement que pour les valeurs financières dès les premiers échanges en Europe puis aux Etats-Unis. Cependant, la fête n'a pas duré longtemps pour Lehman Brothers qui perdait rapidement du terrain après une entame de séance en hausse de 8%. Plombé par des rumeurs récurrentes de faillite, le titre affichait -17% à l'heure du déjeuner et -15% à l'heure du café. Heureusement, Citigroup et Bank of America maintenaient le cap, avec des gains avoisinant 5%.

En ce qui concerne les actionnaires de Fannie Mae (-88% ce lundi) et Freddie Mac (-85% à la reprise des cotations), ils ont tout perdu et ne détiennent plus que des titres assimilables à des warrants pratiquement sans valeur. Rappelons qu'en 1981, la presse américaine ne cessait d'évoquer le risque de spoliation des actionnaires par le gouvernement socialiste à la mode Mitterrand.

Si nous réalisions un sondage auprès des détenteurs de titres Fannie Mae au sujet des nationalisations "à l'américaine", il se pourrait que les nationalisations "à la française" soient jugées préférables sur le plan pécuniaire !

Mais le système financier international est sauvé -- dixit Henry Paulson -- et cela n'a pas de prix ! Warren Buffett applaudit cette coûteuse initiative, lui qui redoutait que la Fed et le Trésor américain ne jouent la montre avant les présidentielles du 6 novembre.

Le secrétaire américain au Trésor a rappelé ce week-end que la majorité des émissions obligataires des deux groupes sont aujourd'hui détenues par les fonds de pension, les banques centrales et les investisseurs institutionnels internationaux.

De façon assez paradoxale, un nouveau fardeau de 5 000 milliards de dollars de dettes pour le budget américain -- 10% des emprunts pourraient ne pas être remboursés en l'état actuel de la crise du secteur immobilier -- n'effraie pas les cambistes. Ils continuent même de pousser le dollar vers des sommets jamais atteints depuis octobre 2007 à 1,4110, contre 1,4260 vendredi.

Nous ne sommes pas convaincu que la fermeté du billet vert soit pour quelque chose dans le rebond du CAC 40. Celui-ci se contente au final d'une hausse de 3,42%, le DAX (Francfort) de 2,2% ; l'Euro Stoxx 50 s'est redressé de 3,1%, contre 4,5% au plus haut du jour.

L'euphorie de la mi-journée, qui s'est traduite par une envolée du CAC 40 atteignant 5% à 4 405 points vers 13h, s'est étiolée en fin d'après-midi alors que Wall Street se montrait rapidement plus prudent que les places asiatiques (+4% en moyenne, +5% à Séoul) et européennes.

La flambée du billet vert pourrait expliquer en partie la morosité du Nasdaq, laquelle a fini par affaiblir CapGemini (+0,9%), Alcatel Lucent (+1,4% au lieu de +6% en matinée) ou STMicro -- +2%, mais c'est une contre-performance relative dans un contexte aussi bullish.

Le gain de 3,4% du CAC 40 à 4 340 points ne lui permet d'effacer qu'un peu plus de la moitié des pertes cumulées la semaine dernière (-6,4%). Si 100% des titres composant le CAC terminaient dans le vert, les volumes d'échanges (6,7 milliards d'euros) étaient jugés moyens compte tenu de l'ampleur des écarts indiciels.

Et puisque nous avons beaucoup évoqué leur nationalisation -- à deux mois jour pour jour des élections présidentielles... mais c'est une simple coïncidence, nous assure la Maison-Blanche --, nous ne pouvons passer sous silence le cruel verdict d'Henry Paulson concernant les coupables du désastre qui continue de faire trembler rétrospectivement Wall Street. Il s'agit des législateurs qui avaient, quelques décennies auparavant, privatisé un peu à la légère les GSE, sans prendre le soin d'instituer un cadre réglementaire suffisamment protecteur.

Les survivants se reconnaîtront et de tenaces remords ne manqueront pas -- nous en sommes persuadé -- de hanter leurs nuits jusqu'à leur dernier souffle ! Henry Paulson se garde bien en revanche d'incriminer les patrons actuels des grandes banques d'affaires, des agences de notation, des réassureurs et, naturellement, les membres de la Fed dont le laxisme monétaire a engendré la bulle du crédit. Il ne faut se fâcher avec personne à quelques semaines d'un grand retour dans le privé.

Un petit rappel au passage : au début des années 70, Fannie Mae et Freddie Mac réalisaient un chiffre d'affaire microscopique. Il n'avait jamais été envisagé qu'ils deviendraient les deux premiers émetteurs privés d'obligations au monde, ni les acheteurs en dernier ressort, sur injonction de la Fed et du Congrès, de 50% des créances immobilières de basse qualité négociées par les banques commerciales ces dernières années.

Nous vous avions aussi promis d'explorer des pistes permettant d'expliquer la chute de 7% du Dow Jones entre 11 800 points et 11 040 points en quatre séances. Cela a peut-être quelque chose à voir avec la recapitalisation de Freddie Mac et de Fannie Mae, qui s'annonçait très problématique fin septembre. Les banques "chefs de file" de cette opération se faisaient légitimement du souci, et Ben Bernanke aussi.

De là à imaginer que quelques poids lourds de la finance ont estimé qu'il valait mieux prévenir en liquidant du papier à tout va par anticipation, quitte à affoler un peu Wall Street, que guérir...

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Philippe Béchade rédige depuis dix ans des chroniques macroéconomiques quotidiennes ainsi que de nombreux essais financiers. Directeur de la rédaction aux Publications Agora et intervenant quotidien sur BFM depuis mai 1995, il est aussi la 'voix' de l'actualité boursière internationale sur RFI depuis juin 2002. Analyste technique et arbitragiste de formation, il fut en France l'un des tout premiers 'traders' mais également formateur de spécialistes des marchés à terme.

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