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Moody’s met un C à la Grèce

Combien de banques seront en mesure de rembourser ?

" Nous n’avions guère de doutes sur le fait que le second LTRO (long term refinancing opération) de la BCE constituerait la plus grosse injection de liquidités de l’histoire.C’est donc chose faite, avec un montant de 530 milliards d’euros accordé à pas moins de 800 banques ; c’est également un record, tout du moins pour l’Eurozone ", écrit Philippe Béchade pour La Chronique Agora.

Nous savons qu’en présentant le second LTRO de cette manière simplificatrice, voir simpliste, nous allons nous attirer les foudres de puristes. Ces derniers considèrent que la BCE respecte ses propres règlementations à la lettre en se contentant de prêter — contre dépôt d’un collatéral — des liquidités remboursables à une échéance prédéterminée. C’est le cas des opérations ordinaires de type MRO (main refinancing operation) qui affichent des durées d’une semaine à trois mois.

Les deux opérations ne diffèrent donc que par la durée ; d’un point de vue formel, il est effectivement abusif de parler d’injection de liquidités. Mais dans des conditions économiques aussi volatiles que celles que nous connaissons depuis l’été 2008, la différence entre trois mois et trois ans représente le même degré d’incertitude que celui existant entre après-demain et aux calendes grecques.

▪ L’Espagne ne pourra pas tenir ses objectifs d’austérité
Personne aujourd’hui ne peut prédire combien de banques seront en mesure de rembourser dans un an l’argent avancé par la BCE si la situation économique de l’Espagne poursuit sa dégradation comme cela a été annoncé vendredi. Madrid reconnaît que les objectifs de réduction des déficits promis à Bruxelles (4,4%) ne seront pas tenus et l’impasse budgétaire devrait atteindre 5,8%.

Mieux vaut tabler sur un score plus proche de 6%, compte tenu d’une récession se prolongeant au moins pour les deux prochains trimestres (-1,7% en 2012) selon les provisions officielles du nouveau Premier ministre espagnol, M. Rajoy ; et c’est sans compter sur le constat de déficits beaucoup plus élevés que prévus dans certaines régions. Les chiffres avaient été pudiquement minorés par le gouvernement Zapatero pour plaire aux marchés et aux créanciers au plus fort de la crise de l’automne 2011.

Pour tenir leur parole, les Espagnols auraient dû trouver 30 milliards d’euros d’économies supplémentaires cette année, en plus des 15 milliards d’euros extraits dans la douleur il y a tout juste trois mois (début décembre).

Même en réduisant de 20% les salaires des fonctionnaires (comme en Grèce) et en augmentant la TVA de deux points en 2012, il n’est pas certain que Madrid pourrait respecter son tableau de marche qui prévoit de ramener le déficit à 3% fin 2013. Cela sans compter le coût social d’un taux de chômage global qui atteindra 24,3% cette année et qui pourrait dépasser les 50% chez les moins de 25 ans après que l’âge de la retraite des aînés a été repoussé de deux ans l’an dernier.

Nombreux ont été les sherpas économiques de l’Eurozone à manifester leur agacement à l’encontre de Madrid en fin de semaine dernière. Les marchés ont littéralement ignoré le problème, à commencer par les Pays-Bas qui se posent (avec la Finlande) comme les plus ardents défenseurs d’une stricte orthodoxie budgétaire.

▪ Les Pays-Bas vont devoir faire profil bas
Mais le Bureau central du plan néerlandais (l’équivalent de notre ministère de l’économie) avait annoncé dès jeudi que le PIB des Pays-Bas devrait se contracter en 2012 de 0,75%, et non de 0,5% comme cela avait été initialement prévu.

Sans nouvelles coupes drastiques dans les dépenses sociales, le déficit budgétaire néerlandais pourrait atteindre 4,5% à 5% du PIB cette année et dépasser les 4,1% l’an prochain. Les donneurs de leçon vont devoir se faire violence pour demeurer exemplaires… mais la patience de la population du pays de polders commence à être mise à rude épreuve.

Vu de La Haye ou de Rotterdam, il semble plus facile aujourd’hui d’enrayer les coups de boutoir de la mer du Nord ou l’ensablement de l’estuaire du Rhin que de combattre les effets indésirables de l’océan de dettes qui est en train de submerger l’Europe.

Si nous citons Rotterdam, c’est juste histoire de ne pas perdre de vue que l’argent distribué –pour ne pas dire “inventé”– par la BCE a largement contribué à la flambée du pétrole physique dont la capitale économique hollandaise constitue la plaque tournante européenne.

▪ La Grèce est sans pétrole : quel voisin européen viendra l’aider ?
Histoire de ne pas rompre avec la thématique pétrolière, vous avez noté que Téhéran avait cessé de livrer 600 000 barils de son or noir à Athènes qui ne lui a rien fait. Mais cela va embêter les autres partisans du boycott du pétrole iranien. Qui va faire cadeau de deux ou trois supertankers à la Grèce ? Allez, ne répondez pas tous ensemble… qui se dévoue ?

En attendant que cette difficulté soit résolue, c’est Moody’s qui s’est dévoué pour dégrader la note de la Grèce à C. C’est la plus mauvaise note possible, qui sanctionne un défaut de remboursement quasi certain.

L’agence indique que la Grèce, même après restructuration de sa dette, fait toujours face à d’immenses défis de solvabilité à moyen terme. Il faut tenir compte du fait que deux à trois années de récession supplémentaires maintiendront le ratio de sa dette publique/PIB bien au-delà des 100% pour une période indéterminée… mais qui semblera une éternité pour le peuple grec.

Le FMI a même calculé qu’avec l’effondrement du niveau de vie et de la consommation d’ici 2014/2015, le ratio pourrait ne pas redescendre sous les 160% du PIB avant 2020. C’est pourquoi Vienne évoque déjà la nécessité d’un troisième plan de sauvetage en faveur d’Athènes.

▪ Un nouveau plan de sauvetage pour couler un peu plus la Zone euro ?
Un nouveau plan de sauvetage ? Bon sang, mais c’est bien sûr ! L’évidence nous crève les yeux : la crise de l’Eurozone touche à sa fin et ce n’est pas une petite hausse du baril de Brent à 125 $ ou de l’essence à deux euros à la pompe qui va gâcher le rétablissement de nos économies.Ni torpiller la croissance !

De cela, nous en sommes sûr et certain… pour la raison évidente qu’il n’y a pas de croissance !

La seule denrée qui continue de croître de façon démesurée, c’est la quantité d’argent fictif en circulation. Si l’Allemagne donne son feu vert, le cumul des ressources du FESF agrégées au MES serait porté de 500 à 750 milliards d’euros.

Cela permettrait ensuite au FMI, qui attend ce geste préalable des Européens, d’augmenter ses propres ressources de 500 à 670milliards d’euros. Cela aboutirait à la constitution d’un filet de sécurité international potentiellement disponible de 1 420 milliard d’euros.

▪ Les BRIC à la rescousse des grands frères européens ?

Sauf que le FMI — même dirigé par une Christine Lagarde motivée à bloc pour soutenir l’Europe — n’a nullement le droit d’engager la totalité des ressources de l’institution. Ces dernières sont pour une bonne part abondées par le Brésil ou la Chine. Pas question donc que cet argent serve pour aider des pays de l’Eurozone, qui, pour la plupart d’entre eux, siègent en bonne place parmi les membres du G20 qui s’impose comme le club des très riches et très puissants.

En comparaison des difficultés rencontrées par les pays qui ont renversé les dictatures lors du Printemps arabe, de certains pays pauvres d’Amérique centrale ou même du Mexique, que représentent les égarements immobiliers de l’Espagne ou les 36% de taux de chômage des jeunes au Portugal (d’après les derniers chiffres officiels publiés vendredi) alors que ce taux ne dépassait pas les 20% en 2008 ?

Mais aux yeux des marchés — un terme galvaudé car il n’y a plus qu’un seul intervenant qui a pour nom banque centrale, avec l’appui indéfectible de ses partenaires du secteur privé –, l’Europe est tirée d’affaire puisque les taux longs italiens sont revenus sous les 5%.

Cela paraît aussi pertinent que de se fier à un thermomètre indiquant une température 16 degrés (le DAX ou le Nasdaq 100 affichent 15% à 17,5% depuis le 1er janvier), alors que toutes les voitures sont couvertes de givre et que d’énormes stalactites pendent à la gouttière.

▪ Le train de la récession roule à vitesse grand V

Mais le marché thermomètre a toujours raison. S’il vous prenait la fantaisie de la contester, les faux naïfs qui se posent en faiseurs d’opinion vous rétorqueront qu’il anticipe juste le climat qu’il fera au mois de juin prochain.

Et s’il affiche -10 degrés le 15 juin, les mêmes vous expliqueront doctement que le marché s’attend désormais à un hiver précoce.

En fait de marché, nous avons plutôt à faire à un passage à niveau complètement détraqué. Lorsque la barrière commence à se lever (comme depuis le 20 décembre dernier), peu importe qu’un train de marchandise de 1 500 tonnes se rapproche toutes sirènes hurlantes, rien ne la fera rebaisser.

Cela fait 11 semaines que le DAX 30 grimpe de 1,5% en moyenne d’un vendredi sur l’autre. Il se rapproche des 7 000 points tandis que le Nasdaq a testé les 3 000 points et le CAC 40 les 3 500 points.

Pas de doute, les banques centrales/gardes-barrière actionnent la manivelle avec une obstination qui semble vouloir imiter la froide action mécanique des robots algorithmiques — à moins que ce ne soit l’inverse. Quoi qu’il en soit, le mot d’ordre implicite est bien de faire passer le maximum de véhicules sur le passage à niveau alors que le lourd train de la récession arrive, lancé à pleine vitesse.

 

Philippe Béchade rédige depuis dix ans des chroniques macroéconomiques quotidiennes ainsi que de nombreux essais financiers. Directeur de la rédaction aux Publications Agora et intervenant quotidien sur BFM depuis mai 1995, il est aussi la 'voix' de l'actualité boursière internationale sur RFI depuis juin 2002. Analyste technique et arbitragiste de formation, il fut en France l'un des tout premiers 'traders' mais également formateur de spécialistes des marchés à terme.

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