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Mario Draghi “sauve” l’euro et les gérants font la girouette

Chaque mois, cette escroquerie statistique et intellectuelle se perpétue…

" Wall Street s’est montré bien peu inspiré vendredi soir. La plupart des indices américains ont passé l’essentiel de la séance en territoire négatif, mais sans jamais afficher des pertes supérieures à -0,25%, repli moyen observé à moins d’un quart d’heure de la clôture ", écrit Philippe Béchade pour La Chronique Agora.

Compte tenu des efforts déployés jeudi pour faire croire que Mario Draghi avait sauvé le monde (c’est ce que le grand public qui ne connaît rien aux algorithmes était censé croire, alors que la hausse s’est en fait enclenchée d’un coup, comme si quelqu’un avait appuyé sur un bouton à 15h01 jeudi dernier), il n’était pas question de gâcher par négligence l’opération “hé les gars, faut se la jouer euphorique, tous les gogos nous regardent”.

Les marchés devaient afficher leur foi inébranlable dans l’appréciation inexorable des actifs à risque, notamment les actions. Les indices US ont donc été arrachés à la hausse au cours des cinq dernières minutes de la séance, après six heures de stagnation complète.

Du point de vue des logiciels d’analyse technique peu sophistiqués, un “gain” de 0,02% sur le Nasdaq et 0,1% sur le Dow Jones suffit à valider un diagnostic haussier, sans le moindre signe avant-coureur d’un retournement à la baisse.

C’est le principe de la “queue qui remue le chien”, du mouvement auto-entretenu qui permet de faire complètement abstraction du contexte économique s’il est défavorable — comme ce vendredi.

▪ L’emploi américain cale… déjà
Wall Street semble donc avoir digéré sans amertume la publication d’un montant de seulement de 96 000 emplois crées en août. Rappelons qu’on en espérait 125 000 après les 200 000 annoncé la veille par ADP dans le secteur privé.

Plus surprenant, le taux de chômage chute de 8,3% vers 8,1% alors que la population américaine en âge de travailler augmente (avec un nouveau contingent de jeunes diplômes)… Mais les statisticiens qui produisent les chiffres officiels ont fait disparaître 300 000 personnes de la population active au mois d’août ; le toilettage des fichiers des agences pour l’emploi aboutit à l’éradication d’un nombre de chômeurs du même ordre.

Chaque mois, cette escroquerie statistique et intellectuelle se perpétue… et Wall Street feint de croire que la baisse du chômage correspond à une hausse symétrique du nombre de consommateurs dotés d’un vrai pouvoir d’achat.

▪ Euphorie tout aussi irrationnelle sur les marchés
Les opérateurs évacuent dans un même élan de ferveur haussière la cherté — pas seulement relative — des actions américaines. Les indices américains sont en effet revenus sur leurs meilleurs niveaux algébriques de décembre 2008 ou même novembre 2000.

Ils trouvent logique de revoir des niveaux de valorisation affichés à une époque où la croissance économique et celle des bénéfices étaient deux fois supérieures à celle de 2012… Ils ne s’étonnent pas non plus que les indices renouent avec leur zénith absolu en incluant la composante “dividendes distribués”. Ce mode de calcul propulse le S&P directement vers le zénith historique des 1 550 points de mars 2000 et fin octobre 2007.

Si vous rajoutez la variable “rachat de titres”, qui assèche le nombre d’actions en circulation et accroît artificiellement les profits sans qu’il y ait eu de progression réelle des bénéfices, la valorisation de Wall Street devient alors stratosphérique.

Peu importe puisque la tambouille algorithmique haussière de la veille garantit de nouveaux sommets le lendemain… C’est le seul horizon qui importe à un marché de day traders (ils génèrent désormais 70% à 80% des volumes quotidiens).

Les perspectives à un mois, un trimestre, un an, cela équivaut à spéculer sur le sexe des anges… alors que les points à prendre c’est maintenant, et sans se poser trop de questions.

▪ Et le VIX, dans tout ça ?

Lisez les commentaires sur les forums boursiers : la conjoncture est pourrie, Mario Draghi n’a aucun moyen de faire disparaître les centaines de milliards de créances pourries de l’Espagne ou du Portugal (il gagne juste du temps et transforme la BCE en bad bank) mais le marché est “bull de chez bull“.

En mai 2007 les Lehman, Bear Stearns, Goldman Sachs transformaient à tour de bras les subprime en produits monétaires AAA avec la complicité des agences de notation : “le marché était bull de chez bull“.

La plaisanterie a permis de gagner six mois : Wall Street attendit le 1er novembre pour se mettre à corriger. En dehors de l’existence de masses colossales de créances sans valeur (que la BCE entend également transformer en AAA), existe-t-il un autre point commun entre cette mi-septembre et l’époque bénie de l’automne 2007 ?

Eh bien, regardez l’indice VIX, le baromètre de la confiance : il se retrouve au même niveau qu’il y a cinq ans. Les vendeurs sont systématiquement pris à contrepied ; ils coupent donc leurs positions, courent après le score (même si le marché se paye des multiples absurdes) et le VIX se détend symétriquement, de manière très technique… ce que les gérants s’empressent de présenter comme une marque d’optimisme des investisseurs auprès de leurs clients.

▪ Les gérants retournent leur veste
J’ai adoré le retournement de veste de ces mêmes gérants entre mercredi matin et jeudi à partir de 15h30 (lorsque le CAC 40 déborda les 3 460 points). Ils étaient majoritairement dubitatifs : “aucun effet de surprise à attendre de la part de Draghi, il confirmera ce qu’il a déjà fait connaître, le marché a déjà beaucoup monté, la BCE n’est pas optimiste sur la conjoncture, un refinancement à trois ans ne permet d’investir dans des projets de long terme ni de résoudre le problème des créances hypothécaires à 20 ou 30 ans, etc.”

Voyant les indices boursiers prendre 3,5%, ils ont sorti de leur poche droite le discours n°2, à délivrer au bon peuple en cas de hausse. Il s’agit de faire l’apologie d’une BCE qui sauve l’euro (ce à quoi elle s’était engagée il y six semaines) et qui ne laisse d’autre choix que de revenir furieusement sur le compartiment actions.

Il n’y avait pratiquement personne pour miser un centime sur les banques depuis le début de la semaine… mais dès 17h jeudi, tous se prétendaient tous acheteurs.

Nous rappelons à nos lecteurs qu’une majorité d’opérateurs (et peut-être de gérants) était encore vendeurs à 15h, à peine deux heures plus tôt. Preuve en est le repli du Crédit Agricole après une demi-heure de conférence de presse où toute la stratégie de Mario Draghi était connue.

▪ La “magie” de Mario l’Enchanteur
Quelle phrase clé prononcée par Draghi a déclenché les 9% de hausse linéaire sur le Crédit Agricole en 90 minutes, nous n’en savons toujours rien. Si cela ne vient pas de la magie du verbe de Mario l’Enchanteur, alors que s’est-il passé lorsqu’il a quitté la salle de conférence (+1% sur le CAC 40 en 10 minutes) ?

Ce qui est frappant, c’est que toutes les valeurs sur lesquelles il y avait de grosses positions à découvert se sont envolées à partir de 15h. Pas seulement les banques, puisque Faurecia (un exemple parmi d’autres) est passé de -2% à +9% en moins de deux heures — sans aucune information sur la société.

Aurions-nous assisté à un short squeeze aussi bien goupillé que la conférence de presse de Mario Draghi ? Nous sommes en fait convaincu qu’il aurait pu lire un livre de recettes italiennes à base calamars frits durant une heure, les marchés auraient pris 3% avec le même “enthousiasme naturel”.

S’ils s’étaient repliés de 2%, c’eut été aussi “naturel”… Avec des indices américains si près de leurs sommets de quatre ans et de bons chiffres du chômage qui écartent la mise en oeuvre d’un QE3, des années d’austérité au sud de l’Europe (sinon pas d’OMT), un euro bien trop cher à 1,28$ (vendredi soir), les gérants auraient été tout fiers d’annoncer qu’ils s’étaient méfiés et avaient allégé leurs positions — sans oublier que chaque fois que Draghi répond aux questions des journalistes, les indices rebaissent !

Ce doit être un merveilleux métier que d’être gérant de fonds… et d’avoir forcément tout bon sur sa stratégie moyen/long terme, même en changeant d’avis à deux heures d’intervalle!

La girouette donne toujours la bonne direction du vent, la Mario… nnette, celle des actions.

Philippe Béchade rédige depuis dix ans des chroniques macroéconomiques quotidiennes ainsi que de nombreux essais financiers. Directeur de la rédaction aux Publications Agora et intervenant quotidien sur BFM depuis mai 1995, il est aussi la 'voix' de l'actualité boursière internationale sur RFI depuis juin 2002. Analyste technique et arbitragiste de formation, il fut en France l'un des tout premiers 'traders' mais également formateur de spécialistes des marchés à terme.

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