LTRO et POMO, les armes de la Fed et de la BCE
Que fait la Banque Centrale Européenne ?
" Plus que 36 heures de suspense insoutenable… et nous saurons si le second LTRO (long term refinancing operation) constitue la plus grosse injection de liquidités — et la plus grosse entorse à l’esprit des Traités européens qui interdisent de refinancer directement ou indirectement un pays en difficulté — de l’Histoire ", écrit Philippe Béchade pour La Chronique Agora.
Nous avons le clair souvenir de la seconde conférence de presse de M. Mario Draghi. Il avait répliqué avec une bonne dose de sévérité dans le regard à la question d’un journaliste qui se demandait si la BCE ne pourrait pas, tout de même, contourner les interdits dont le Bundestag se porte garant en approuvant un prêt en faveur du FMI qui soutiendrait ultérieurement l’action du FESF.
Super Mario en avait profité pour rappeler que la BCE et la Bundesbank ne saurait avaliser un mécanisme plus ou moins alambiqué ayant pour seul objet de contourner les règles en vigueur en matière de refinancement des dettes souveraines lorsqu’un pays se retrouve confronté à des exigences exorbitantes de la part de ses créanciers en matière de taux d’intérêt.
Il prônait ainsi le strict respect de la ligne Merkel-Schaüble, tout en assurant faire le nécessaire pur assurer la liquidité du système bancaire afin d’éviter un credit crunch.
Rien de nouveau sous le soleil puisque les banques centrales assurent sans désemparer leur rôle de prêteur en dernier ressort depuis septembre 2008. En pratique, elles procèdent sous forme d’opérations de refinancement court terme (une semaine à un mois) et court moyen-terme (un à trois mois).
▪ Ce que font les Etats-Unis
Aux Etats-Unis, la Fed procède à une série d’OMO (open market operations) et de POMO (permanent open market operations — toutes deux sont des opérations d’injection de liquidités) selon un calendrier destiné à garantir le roulement des prêts aux systèmes bancaires arrivant à échéance.
Par ce moyen, une banque centrale peut contrôler l’évolution et le taux de croissance de la masse monétaire — soit en rajoutant de nouvelles lignes de prêts (garantis par les collatéraux de plus ou moins bonne qualité apportés par les banques)… soit en “reprenant” (ou en épongeant) de la liquidité par le biais d’une restriction des quantités d’argent offertes.
Il ne vous aura pas échappé que depuis l’automne 2008, la seule règle qui prévaut, c’est le “toujours plus”, lequel équivaut à une fuite en avant dans la création monétaire. Celle-ci ne profite qu’aux banques — il s’agit d’assurer coût que coûte leur survie — et ne perfuse qu’exceptionnellement jusque dans l’économie réelle. L’excès de liquidité n’est jamais repris par les banques centrales depuis trois ans et demi… Cela bien qu’en théorie, il puisse l’être à chaque “tombée” de bons du Trésor. De ce fait, les liquidités restent disponibles pour des opérations spéculatives à court terme.
C’est pourquoi, depuis septembre 2001 en réalité, chaque fois que les banques centrales interviennent pour soutenir les marchés financiers, c’est une aubaine pour les investisseurs. La dernière opération massive et systématique de la Fed, le QE2, s’était achevée fin juin 2011… et les marchés ont commencé à s’effondrer dès le mois de juillet.
Panique à bord en août puis en septembre dernier… Et, sans surprise, depuis le mois d’octobre, les banques centrales ont repris leur campagne d’injections de liquidités tous azimuts et sur tous les marchés mondiaux. Le total atteint désormais 2 500 milliards de dollars en tenant compte du tout dernier assouplissement quantitatif de la banque centrale du Japon et des 170 milliards d’euros du premier LTRO de la BCE.
L’économie réelle reste au régime sec question crédit… mais les institutions financières continuent de profiter des largesses et des passe-droits que sont les programmes d’apport de liquidité offerts gracieusement par les banques centrales. Dans ce cadre, l’argent est facturé entre 0,1% aux Etats-Unis et 1% en Europe alors que l’inflation réelle est bien au-delà de 3%.
▪ La liquidité fait la pluie et le beau temps — pas les investisseurs
Les médias et les commentateurs nous répètent inlassablement que les mouvements des marchés financiers répondent à la rationalité des investisseurs, qui considèrent que les périls de l’automne 2011 s’éloignent. Mais dans les faits, c’est la liquidité qui fait la pluie et le beau temps.
Les POMO de la Fed et le LTRO de la BCE ont très bien fonctionné : ils ont permis de faire monter les marchés actions à défaut de redonner vie à l’économie réelle.
Les investisseurs n’ont d’autre d’effort à accomplir que de cocher dans leur calendrier les jours où les liquidités sont déversées dans le marché. Ils orchestrent ainsi — grâce aux produits dérivés — un patient ramassage des indices boursiers… au lieu d’y aller à grands coups de pelleteuse à la date exacte, ce qui serait un peu trop voyant.
Il en découle une hausse perpétuelle ou somnambulique des actions. Aux dires de certains stratèges, elle pourrait durer encore des semaines… voire trois à quatre mois, puisque le dernier POMO de la Fed se terminera en juin prochain et que le second — et en théorie dernier — LTRO de la BCE a lieu cette semaine.
▪ Le tour de force de Mario Draghi
Le problème, c’est que tout cet argent est fictif. Il est créé de manière électronique et artificielle, il ne correspond à aucune richesse déjà créée ou anticipée — c’est très précisément ce dont Angela Merkel et l’Allemagne ne voulaient pas.
C’est pourtant ce que Mario Draghi a réussi à faire passer avec la même facilité qu’un virement interbancaire entre la BCE et le Trésor italien (ou espagnol)… au nez et à la barbe de la Bundesbank et du Bundestag.
L’enfance de l’art : la BCE déverse des centaines de milliards à 1% au guichet des principales banques européennes. Ces dernières s’empressent d’aller souscrire aux émissions de bons du Trésor des pays offrant 5% et plus pour des maturités de 5 à 10 ans.
Emprunter de l’argent gratuitement pour l’investir à 5,5% en Italie, c’est le rêve de n’importe quel épargnant… mais une petite voix intérieure vous susurre que c’est certainement trop beau pour être vrai.
Les banques semblent l’entendre elles aussi : pas question de courir le risque d’un nouveau défaut de solvabilité comme avec la Grèce… Alors, courageuses mais pas téméraires, elles refilent les bons du Trésor fraîchement imprimés en guise de collatéral à la BCE — en l’échange de nouvelles liquidités pas chères qu’elles misent cette fois sur du concret (à l’image de la Chine, qui a recommencé à accumuler pétrole et métaux industriels depuis l’automne dernier).
Et voilà, le tour est joué ! La BCE ne refinance pas directement les pays en difficulté, et elle n’achète pas les dettes souveraines : elle les prend juste en pension de telle sorte que le propriétaire reste d’un point de vue formel l’acheteur initial.
Mario Draghi a bien conscience que les titres qui séjournent dans ses coffres pour quelques semaines, quelques mois — et désormais trois ans –, c’est potentiellement de la dynamite… Mais lors de son précédent point presse, le message était le suivant : il y a plus de risque mais on apprend à le gérer. C’est exactement le discours que tenaient les packageurs de subprime à la belle époque.
Si les choses tournaient mal, vous pouvez être à peu près certain que la BCE attendrait en vain que quelqu’un vienne lui réclamer la restitution de son bien… Un peu comme un cambrioleur qui renonce à venir récupérer son butin en apprenant que son receleur est étroitement surveillé par la police.
C’est ainsi que fonctionne le système à la Goldman/Draghi, sans que la presse germanique ne se fasse l’écho jusqu’à présent de la moindre objection de la part des autorités économiques allemandes.
Si elle le faisait, elle devrait dénoncer ipso facto le mode de gestion de la dette américaine par la Fed, et mettre en doute la capacité des Etats-Unis à tenir leurs engagements envers leurs créanciers.
Ben Bernanke ne peut qu’approuver le coup de billard à trois bandes mis en place par la BCE avec la complicité des banques commerciales et l’approbation tacite de Bruxelles. Après tout, cela fait quatre ans que ce système fonctionne sans anicroche outre-Atlantique !
Mais l’expérience des quatre dernières années démontre que la Fed n’a jamais réussi qu’à gonfler par ce biais des bulles d’actifs dans le secteur des matières premières et de l’énergie. Par deux fois déjà en juillet 2008 et mai 2011, la flambée du pétrole au-delà des 120 $ le baril a torpillé les perspectives de croissance aux Etats-Unis et dans l’Eurozone… mais peu importe : jamais deux sans trois !
La BCE et la Fed ont prévenu les marchés fin 2011 : “pas grave, on y retourne” !