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Le MES accorderait une ligne de crédit à l’Espagne

Les marchés se réjouissent de rumeurs


" Les places européennes (+2,5%, un véritable rêve de permabull) ont effacé en 48 heures la totalité du terrain perdu depuis le 25 septembre dernier. Ce repli est lié, faut-il le rappeler, à une toile de fond macro-économique si défavorable dans l’Eurozone que même le FMI recommande à Bruxelles de mettre la pédale douce sur l’austérité. Pourtant, l’institut new-yorkais a toujours été le premier à prescrire de sévères purges budgétaires et sociales aux pays surendettés ", écrit Philippe Béchade pour La Chronique Agora.

La journée avait débuté sous de bons auspices (+1,5% à Tokyo), mais il a fallu attendre plus de quatre heures et demie pour que les marchés se réveillent pour de bon. L’accélération haussière décisive qui a permis de pulvériser les résistances court terme résulte de l’effet Goldman Sachs. Il s’est traduit par un bond de 30 points sur le CAC 40 en 12 minutes, dont 20 points entre 13h43 et 13h45.

Nous avons assisté à un véritable emballement des achats sur les valeurs bancaires européennes. Ces dernières n’ont pourtant pas grand-chose de commun avec le hedge fund géant qu’est Goldman Sachs (GS) dont les activités de “BFI” (trading pour compte propre) ont dégagé des profits record au troisième trimestre.

▪ Goldman Sachs engrange des milliards
Ces milliards de dollars de profits engrangés en quelques mois sont la juste récompense d’un flair remarquable. Car il est évident que GS n’a jamais eu la moindre influence sur la mise en oeuvre d’un quantitative easing par la Fed cet automne, ni n’a jamais pu subodorer  avant tout le monde que la planche à billets allait se remettre à tourner à plein régime mi-septembre.

La preuve, un stratège de la Fed écrivait même que Wall Street risquait de chuter après le 14 septembre ; or le Nasdaq a inscrit un nouveau zénith le 21, c’est-à-dire une semaine plus tard. Vous voyez bien, ils ont eu de la chance cet été, mais ils se trompent comme tout le monde (rires).

Passée l’accélération décisive impulsée par Goldman Sachs — celle qui a permis de déclencher les programmes d’achat informatisés sur franchissement des 3 450 points à Paris –, l’envolée des indices fut définitivement scellée par une rumeur non confirmée et non vérifiable. D’après une pseudo info glanée sur le site d’un média germanique et repris par Reuters, l’Allemagne approuverait l’octroi d’une ligne de crédit via le MES à l’Espagne, avant même un appel à l’aide officiel de Madrid.

C’est exactement ce que la Bundesbank — et les Finlandais — ont toujours voulu interdire. Mais selon la rumeur, Angela Merkel passerait outre… pour le plus grand bonheur des marchés qui n’attendaient que des “bonnes nouvelles” de ce genre pour renouer avec leur zénith annuel.

▪ Les marchés se réjouissent de rumeurs
Au final, le CAC 40 — toujours très corrélé aux variations du secteur bancaire — a bondi de 2,36%, devancé par Madrid (c’est logique) où l’Ibex-35 explose de 3,4%… alors qu’il n’y a rien d’officiel concernant une ligne de prêt à trois ans à l’Espagne, faut-il encore le souligner.

Un gain de 80 points ce mardi à Paris. Personne n’aurait parié sur un tel scénario, sauf ceux qui guettaient l’occasion de faire s’envoler le CAC 40 vers les 3 500 et de détruire tous les shorts qui somnolaient confortablement depuis le 25 septembre.

Car il semble évident que les profits de GS et la rumeur espagnole sont exactement le prétexte dont les haussiers avaient besoin pour casser les reins des vendeurs. Une fois encore, le CAC 40 reprend 150 points en moins d’une semaine (dont 60 points en moins de quatre heures) sans que les données économiques aient évolué d’une façon favorable en France ou en Europe.

Afin de couper court à de légitimes objections : oui nous sommes bien au courant du redressement de l’indice ZEW du sentiment économique en Allemagne qui progresse une nouvelle fois en octobre (il remonte de -18,2 à -11,5 ce mois-ci).

▪ Athènes bientôt à sec
Mais nous sommes tout aussi bien informé de l’échec retentissant des négociations — totalement occulté par les médias mardi après midi — entre la Troïka et le gouvernement grec au sujet des économies à dégager sur le budget social pour bénéficier d’une nouvelle tranche d’aide. Cette dernière serait vitale pour Athènes dont les caisses seront officiellement à sec (elles le sont déjà depuis mai 2010) le 30 novembre.

La faillite de la Grèce n’intéresse plus personne… ni son taux de suicides historique… ni des malades qui décèdent par centaines chaque semaine faute de médicaments — non livrés parce que non payés — et de personnel hospitalier (les salaires ne sont plus versés depuis des mois).

Non, l’heure est aux réjouissances : l’Espagne, également au bord de la faillite, n’a plus d’autre choix que d’appeler l’Europe à la rescousse et tous nos soucis de croissance, de chômage, de déséquilibres structurels vont s’envoler comme par enchantement !

Mais comme nous l’expliquions dans notre chronique du 12 octobre, l’activation du MES va entraîner le déclenchement des appels de fonds et contraindre les pays contributeurs à honorer leur obligation en la matière — et vu l’état des finances de la plupart d’entre eux, ce n’est vraiment pas le moment !

Rome va donc devoir lever des milliards à crédit (et à un taux nécessairement élevé) pour permettre à l’Espagne de se refinancer à des conditions beaucoup plus avantageuses que les autres PIIGS.

C’est un fusil à un coup, sachant qu’il n’y aura jamais assez d’argent dans le MES pour venir en aide au Portugal ou à l’Italie si jamais les marchés jugent que ces deux pays s’enfoncent trop lourdement dans la récession et qu’ils ne pourront tenir leurs objectifs de réduction des déficits en 2013.

Mais les optimistes évacuent ce risque car la croissance mondiale — ils en sont certains — va retrouver un rythme de croisière plus soutenu en Chine et aux Etats-Unis l’an prochain… Quant à l’Europe, elle pourrait surprendre les économistes en se redressant plus vite que prévu grâce à la demande en provenance de nouveaux pays émergents (Indonésie, ex-républiques soviétiques d’Asie mineure, Turquie, etc.).

Si leur modèle de développement est comparable à celui de la Chine, c’est l’Allemagne qui devrait de nouveau tirer les marrons du feu avec ses machines-outils et ses berlines pour P-DG nouvellement enrichis.

La France se consolerait avec ses produits de luxe. Mais un luxe qui se fabrique maintenant à l’étranger sous licence, tout comme Apple fait produire ses “iQuelquechose version 5, 6 ou 7 en Asie.

▪ Croissance morne aux Etat-Unis
En ce qui concerne la reprise aux Etats-Unis, nous avons découvert hier que la production industrielle ressortait en hausse de 0,4% en septembre, après une chute de 1,4% en août (chiffre révisé de -1,2%).

C’est mieux que les 0,2% anticipés, mais le taux d’utilisation des capacités de production s’est établi comme prévu à 78,3%. Tout cela ne traduit pas un retour fracassant de la croissance.

Surtout lorsque l’inflation atteint dans le même temps les 0,6%, flambée des carburants oblige. Mais James Bullard (le patron de la Fed de Saint Louis, l’homme qui voudrait que Ben Bernanke dispose de huit bras pour actionner encore plus de leviers monétaires) considère que l’économie américaine s’achemine vers un équilibre merveilleux entre hausse des prix et hausse du PIB, de telle sorte que le QE3 pourrait être désactivé prochainement.

Et si Bernanke désactivait Bullard avant que Wall Street ne le prenne au mot ?

Philippe Béchade rédige depuis dix ans des chroniques macroéconomiques quotidiennes ainsi que de nombreux essais financiers. Directeur de la rédaction aux Publications Agora et intervenant quotidien sur BFM depuis mai 1995, il est aussi la 'voix' de l'actualité boursière internationale sur RFI depuis juin 2002. Analyste technique et arbitragiste de formation, il fut en France l'un des tout premiers 'traders' mais également formateur de spécialistes des marchés à terme.

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