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La crise de la dette souveraine gagne l’Espagne

Faites une prière et jouez au loto...

" Les marchés se sont fait une grosse frayeur jeudi matin en découvrant vers 11h une spectaculaire tension des taux italiens lors de l’adjudication de cinq milliards d’euros de bons du Trésor italiens à trois ans ", écrit Philippe Béchade pour La Chronique Agora.

Contrairement à l’Espagne 48 heures auparavant, l’Italie a placé l’intégralité du papier mis aux enchères. Cependant, la demande s’est avérée bien timorée et le rendement a bondi de 115 points de base, passant de 2,76 mi-mars à 3,9% ce 12 avril.

La Bourse de Milan n’a pas tardé à dévisser de 2% et Madrid de 2,5% (vers 12h30). A ce moment précis, l’IBEX 35 accusait un repli annuel abyssal de 13,5%, alors que le DAX 30 à Francfort affichait encore 13,5%… de gain.

Cela commençait à sentir sérieusement le roussi… pour les raisons que j’avais très précisément exposées la veille lors de mon point hebdomadaire du mercredi sur BFM, dans une chronique baptisée “les points sur les Zi”.

Nous avions commencé par évoquer la tension des taux qui sévissait en Espagne. Nous en sommes alors venu quelques minutes plus tard à parler du “vrai sujet” du moment, à savoir l’impossible équation budgétaire qui déstabilise l’Espagne. Et il aurait été bien léger de ne pas conclure sans dire un petit mot d’un éventuel plan de secours en faveur de… l’Espagne.

▪ Des déclarations bien candides…
A peine venais-je de m’asseoir et d’ajuster mon micro que les deux journalistes animant l’émission m’ont demandé de commenter une déclaration de notre ministre du Budget, Valérie Pécresse : “nous jugeons les craintes qui s’expriment aujourd’hui sur la santé économique de l’Espagne excessives”.

Je l’avais effectivement entendue le matin même s’aventurer sur un terrain qui ne lui est peut être pas totalement familier… pour émettre un avis qui n’est peut-être pas non plus d’une totale pertinence.

Pour être franc, je me suis retenu de m’esclaffer devant une telle preuve de candeur alors que des dizaines de milliards d’euros venaient de s’enfuir en quelques jours vers les Bunds et les T-Bonds US. Je me suis également abstenu de livrer le fond de ma pensée sur le sujet, qui rejoint pour une fois le ressenti des marchés.

Je me suis ravisé parce que je suis convaincu qu’il s’agit d’une déclaration “sur commande ». Il fallait bien que ce soit quelqu’un dont l’avis bénéficie d’une apparente légitimité qui s’y colle.

Je me suis demandé à voix haute si les auditeurs pensaient que Valérie Pécresse irait jusqu’à placer sa future retraite sur des emprunts espagnols de maturité 2022. Avec pas loin de 6% de rendement, cela pourrait valoir le coup si la poussée de fièvre actuelle se calmait spontanément.

▪ Les craintes de contagion ressurgissent
Une majorité d’opérateurs et d’économistes craint que cela ne soit pas le cas. A moins d’une intervention musclée de la BCE, on peut craindre que la contagion de la défiance ne gagne à son tour les actions, qui viennent déjà de perdre 11% en un mois à Paris.

Le différentiel de rendement entre taux espagnols et italiens à 10 ans par rapport aux bons du Trésor allemands de même maturité flirtait de nouveau jeudi matin avec des niveaux égaux ou supérieurs à 400 points de base (et même 435 points de base).

Le rendement des Bunds (la valeur refuge par excellence) est brièvement tombé sous 1,65%, tutoyant ses planchers de novembre 2011. C’est une rémunération confiscatoire, compte tenu d’une inflation voisine de 2,5% en rythme annuel — mais une moins-value minime vaut mieux que de rester exposé plus longtemps au risque espagnol.

Un porte-parole de Bruxelles et un membre du ministère des Finances allemands se sont également dévoués pour délivrer la “bonne parole”, affirmant que les efforts budgétaires espagnols sont sous-estimés par les marchés.

Il ne manquerait plus que ces idiots (les marchés que personne ne parvient à maîtriser !) surestiment symétriquement l’impact des 23% de chômeurs en Espagne ou le poids des créances douteuses induit par un stock de près de deux millions de logements invendus : peccadilles !

Ajoutez à cela des rumeurs d’un nouvel appel au secours de la part d’Athènes à quelques jours des élections législatives (envoyez-nous vite quelques milliards de plus, sinon le parlement grec risque de ne plus pouvoir répondre de rien début mai)… Cela nous faisait un joli tableau noir à la veille d’un vendredi 13.

Nous ne savons pas si la BCE est superstitieuse mais elle s’est empressée dès jeudi midi (alors que les places boursières perdaient 1,3% en moyenne et Madrid 2,5%) d’envoyer des signaux suggérant qu’elle pourrait — si ce n’était déjà le cas — intervenir pour ramener le calme sur des marchés au bord de la crise de nerfs.

▪ Les marchés ne veulent plus se montrer trop gourmands
Ces rumeurs de reprise des achats de dettes souveraines se sont mises à circuler au moment le plus opportun : lorsque l’Euro-Stoxx 50 menaçait d’enfoncer le seuil symbolique et technique des 2 315 points, qui correspond précisément au niveau de clôture du 30 décembre 2012.

Les vendeurs, qui ont déjà engrangé presque 12% à la baisse en trois semaines, n’ont pas voulu prendre le risque de se montrer trop gourmands.

Les acheteurs ont beaucoup hésité à reprendre position jeudi après-midi, surtout après les mauvaises statistiques du chômage hebdomadaire américain parues à 14h30, avec une nette remontée de 367 000 vers 380 000 (au lieu d’une nouvelle décrue anticipée vers 350 000).

Tout s’est joué au cours des deux dernières heures de la séance, puisque les places européennes chutaient encore de 0,5% en moyenne au moment de l’ouverture de Wall Street. Au final, l’Euro-Stoxx 50 affichait une progression symétrique de 0,5% alors que Paris ou Francfort flirtaient avec les +1% (et le CAC 40 avec les 3 280 points).

La bourse de Milan s’est imposée comme la championne de la volatilité avec un écart de plus de 3% entre les extrêmes du jour (-2,7% vers midi, +1,3% au final).

Madrid restait la seule place à n’avoir pu ressortir du rouge (-0,75% dans le sillage des valeurs bancaires). Il y avait également Lisbonne : -1% dans le sillage de la banque Esperito Santo qui plongeait de 13% sur l’annonce d’une augmentation de capital d’un milliard d’euros.

Si Madrid avait clôturé sous les 7 500 points (contre 7 520 au final), les marchés dans leur ensemble n’avaient plus qu’à faire leur prière… et à remplir une grille de loto spécial “vendredi 13″ pour espérer se refaire !

Philippe Béchade rédige depuis dix ans des chroniques macroéconomiques quotidiennes ainsi que de nombreux essais financiers. Directeur de la rédaction aux Publications Agora et intervenant quotidien sur BFM depuis mai 1995, il est aussi la 'voix' de l'actualité boursière internationale sur RFI depuis juin 2002. Analyste technique et arbitragiste de formation, il fut en France l'un des tout premiers 'traders' mais également formateur de spécialistes des marchés à terme.

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