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La Chine est la Nouvelle Allemagne

Comment le "Tiers-Monde" est devenu "Marchés Emergents"...

A LA FIN de la Seconde guerre mondiale, l'Allemagne était un marché "émergent", écrit Chris Mayer pour La Chronique Agora et le Daily Reckoning.

Le pays s'industrialisait rapidement et bénéficiait d'une croissance économique active. Aujourd'hui, l'Allemagne est un "marché développé" mature, qui progresse doucement... quand il progresse. Aujourd'hui, la Chine est la nouvelle Allemagne. Le dynamisme industriel qui a généré le succès de l'Allemagne juste après la guerre se déplace désormais vers l'est... morceau par morceau.

La vallée de la Ruhr était le coeur de la puissance industrielle allemande. Pendant plus de 200 ans, les industries de cette région du nord-ouest de l'Allemagne ont martelé l'acier et le fer qui formeraient la colonne vertébrale de l'industrie du pays. Et quand les tambours de la guerre se sont fait entendre, ces usines ont approvisionné l'Allemagne impériale en fusils, en chars d'assaut et en obus.

Des communautés prospères ont vu le jour autour de ces vieux hauts fourneaux et ces vieilles aciéries. Les gens étaient fiers de ce qu'ils fabriquaient de leurs mains. Des dizaines de milliers de personnes ont trouvé du travail dans les usines de la Ruhr. Des générations se sont succédé, avec la certitude que leurs fils et leurs filles pourraient vivre ici et faire perdurer l'héritage d'un tel endroit.

C'est ainsi que les choses se sont passées pendant longtemps. Mais, poussée par les vents du changement, la roue a tourné de façon surprenante.

Au début des années 1990, les travailleurs industriels de toute l'Asie ont mis en marche le pilon et le mortier qui écraseraient le mode de vie traditionnel de la Ruhr.

Au tournant du millénaire, plus personne ne pouvait ignorer la dure réalité. Les aciéries et les usines de la Ruhr ont commencé à fermer -- pour toujours. Dans son livre terrifiant, China Shakes the World ["La Chine secoue le monde", ndlr.], James Kynge raconte l'histoire de l'aciérie ThyssenKrupp à Dortmund, l'une des plus grandes d'Allemagne.

Les Allemands l'appelaient le Phoenix, parce qu'elle avait réussi à renaître de ses cendres après les bombardements de la Seconde Guerre Mondiale. Le mois où ThyssenKrupp a fermé l'aciérie, une entreprise chinoise l'a rachetée avec l'idée de la démanteler complètement pour la reconstruire en Chine, près de l'estuaire du fleuve Yangtze.

Peu après l'achat de l'aciérie par l'entreprise chinoise, 1 000 travailleurs chinois sont arrivés en Allemagne pour commencer le désassemblage et le déménagement du site vers la Chine.

Les Allemands ont pu voir de plus près pourquoi il leur était impossible de rivaliser. Les Chinois travaillaient sept jours sur sept, douze heures par jour.

Les Allemands ont commencé à se plaindre. Alors les Chinois, par respect des lois locales, ont pris un jour de repos. Au final, les Chinois ont démantelé l'aciérie en moins d'un an -- deux ans plus tôt que ce qu'avait prévu ThyssenKrupp.

A 10 000 kilomètres de là, les Chinois ont reconstruit l'aciérie à l'identique. Comme l'écrit Kynge : "au total, 275 000 tonnes d'équipements ont été transportées, avec 44 tonnes de documents expliquant les complexités du processus de réassemblage".

Mais tout ce déménagement était malgré tout moins cher -- de près de 60% -- que la construction d'une nouvelle aciérie. De plus, en Chine, la demande en acier était telle que l'aciérie pouvait immédiatement commencer à produire à sa capacité maximale.

Cet exemple remarquable montre, à plusieurs niveaux, à quel point le jeu a changé. Les travailleurs confortablement installés dans les usines et les aciéries des Etats-Unis et d'Europe de l'Ouest ne se doutent pas de ce qui les attend. Et même si c'était le cas, la nature de la concurrence mondiale continue de changer. Nous avons tendance à penser que les marchés émergents, comme la Chine, sont tout en bas de la chaîne alimentaire de l'économie mondiale. Nous avons tendance à penser que ces pays sont des sources de main d'œuvre et de ressources naturelles bon marché. Mais de plus en plus, ils abritent des entreprises de niveau mondial dans toutes les industries.

Telle est en tout cas la thèse d'Antoine van Agtmael, auteur d'un nouveau livre intitulé The Emerging Markets Century ["Le siècle des marchés émergents", ndlr.]. Agtmael est l'homme à l'origine du terme "marchés émergents" pour désigner les économies en pleine croissance mais moins développées que sont la Chine, l'Inde, le Brésil, l'Argentine, le Mexique, la Thaïlande, etc.

Avant lui, on appelait ces marchés "le Tiers-Monde" -- expression qui évoque des images très négatives. Pour faire passer son idée, Agtmael a imaginé l'expression "marchés émergents".

Le monde a profondément changé, mais l'investisseur lambda ne le comprend sûrement pas pleinement.

Une autre idée d'Agtmael : en 1988, quand il a ouvert son fond d'investissement, il n'y avait que 20 entreprises dans les marchés émergents dont les ventes dépassaient le milliard de dollars. La plupart étaient des banques et des entreprises du secteur des commodities (elles étaient situées à Taiwan pour la plupart).

Aujourd'hui, il y a plus de 270 entreprises dont les ventes dépassent le milliard de dollars, et 38 pour lesquelles elles dépassent les 10 milliards. La plupart sont des entreprises de haute technologie ou des fournisseurs de biens ou de services.

Cela vient conforter le propos d'Agtmael : la plupart des marchés émergents qui prospèrent aujourd'hui ne reposent pas sur de la main d'œuvre bon marché, des ressources naturelles abondantes ou des politiques protectionnistes des gouvernements. En revanche, ils ont développé des produits concurrentiels au niveau de la technologie, du design, de la logistique et d'autres domaines.

Agtmael donne également des conseils pour investir dans les marchés émergeants. Le plus important d'entre eux est assez simple : "n'ayez pas peur d'investir dans ces marchés".

Chris Mayer est le rédacteur en chef de la lettre d'information Capital & Crisis, ainsi que du système de trading Crisis Point Trader. Ses analyses des problématiques financières ont été reprises maintes fois dans de nombreuses publications, et notamment dans le très réputé Grant's Interest Rate Observer.

Chris a commencé sa carrière dans le secteur bancaire, et plus précisément dans la banque d'affaires, après avoir obtenu un MBA en finances. Plus tard, il a commencé à rédiger Capital & Crisis, une lettre d'information mensuelle lui permettant de développer son point de vue très personnel de manière régulière et approfondie. Passionné de vieux livres, d'investissements à l'ancienne et de théories classiques, Chris correspond parfaitement à la stratégie développée dans cette lettre.

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