Gueule de bois et mauvais payeurs
C'est souvent au moment de payer l'addition
que les meilleurs dîners tournent au vinaigre. Et c'est exactement ce qui est en train de se passer pour la Grèce. Il va falloir payer, de nouveau, avec la perspective presque certaine de ne pas être remboursé. Or les Etats européens sont de plus en plus frileux du portemonnaie – on peut les comprendre, écrit Cécile Chevré pour La Quotidienne de MoneyWeek .
Si personne ne veut payer pour la Grèce, que va-t-il se passer ? Les Etats européens vont-ils essayer de s'enfuir en courant du restaurant ? Vont-ils devoir faire la plonge en échange du banquet ?
Dans la plupart des restaurants, il existe un portrait robot des mauvais payeurs, ces clients qui ont la mauvaise habitude de laisser des chèques en bois ou de s'éclipser discrètement à la fin du repas sans régler la note. Nul doute que sur les marchés obligataires, la Grèce soit maintenant tout en haut de la liste de ces clients à risque. D'ailleurs, l'agence de notation Standard & Poor's vient de dégrader de trois crans la note souveraine grecque.
Le pays est maintenant noté CCC. Ce qui fait de la Grèce le pays le moins bien noté de la planète, derrière tout un tas de pays aux finances plus que douteuses et à l'inflation dévorante. Les rendements des obligations grecques à 10 ans se sont bien évidemment envolés, à plus de 17%.
La Grèce ne peut pas payer. Mais qui peut le faire ?
Première solution : la Grèce quitte la table et fait défaut. Une solution qui n'enchante personne. Une faillite, non ; une restructuration, oui. Bref un défaut avec mais avec un habillage cosmétique. Le tout est d'éviter le déclenchement des assurances contre le risque souverain, ces fameux CDS dont nous vous avons beaucoup parlé ces derniers temps. Pourquoi un tel acharnement à travestir la réalité ? Parce que les banques européennes – qui ne sont pas au mieux de leur forme – devraient payer ces assurances. Et croyez-moi, elles n'ont vraiment pas besoin de cela.
Deuxième solution : les convives se mettent d'accord pour payer la part de la Grèce. Une solution qui sera difficilement acceptée par la plupart des citoyens-contribuables européens, allemands en tête. Comme l'explique Chloé Consigny dans le prochain MoneyWeek, une telle solution couterait 2 à 3 points de PIB à l'Allemagne. De quoi la faire passer dans le camp de la récession. Ce qui explique le peu d'empressement d'Angela Merkel et consors à payer la facture.
Troisième solution : on propose aux convives de la table d'à côté de nous aider à payer la note. C'est exactement ce que propose l'Allemagne en demandant que le secteur privé participe au règlement du "problème grec" (encore un doux euphémisme). Après tout, pourquoi pas ? Les banques européennes utilisent la dette européenne pour rémunérer certains de leurs produits financiers, dont les très populaires assurances vie. Pendant de longs mois, elles ont largement profité de la hausse des rendements de la dette grecque.
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L'Allemagne a ainsi proposé que le secteur privé accepte une restructuration de la dette grecque en échangeant leurs actuelles obligations contre des obligations à échéance prolongée de sept ans. Le problème, c'est qu'un tel choix risque d'être considéré comme un "événement de crédit" et donc déclencherait les CDS.
Et surtout, les banques européennes sont-elles vraiment capables d'absorber les pertes liées à la restructuration de la dette grecque ? Ni les banques irlandaises, portugaises ou espagnoles ne le peuvent. Pour les autres ? Les banques françaises et allemandes sont particulièrement exposées à ce risque. Or si les banques sont touchées, les Etats seront placés devant un choix difficile : renflouer alors que leurs finances sont elles-mêmes au plus mal ou alors les laisser couler entraînant des millions d'épargnants dans leur naufrage ?
Les banques françaises sont déjà dans la ligne de mire des agences de notation. "Grèce : trois banques françaises sous surveillance", nous apprend Le Figaro. "Alors que les banques pourraient participer au sauvetage d'Athènes, l'agence de notation Moody's a placé les notes de Société Générale, Crédit agricole et BNP Paribas sous surveillance pour une possible dégradation, du fait de leur exposition à la crise grecque".
Quatrième solution : tous les convives essaient de quitter discrètement le restaurant sans payer – et surtout en jurant qu'on ne leur reprendra plus à participer à ce genre de banquet. Ce qui signifie l'explosion de la zone euro. A MoneyWeek, nous évoquons cette possibilité depuis le début de la crise grecque et nous devons avouer que cette perspective se rapproche à grands pas...
La Grèce pourrait quitter la zone euro pour pouvoir dévaluer à sa guise la drachme et ainsi alléger le poids de son endettement. Exemple que pourraient suivre les pays périphériques de la zone euro. C'est en tout cas l'analyse de Nouriel Roubini : il prédit une explosion de l'euro d'ici cinq ans. Selon lui, la crise de l'euro a été un révélateur des failles de la monnaie unique et de son fonctionnement. L'expérience de l'euro était vouée à l'échec dès le départ car la situation économique des différents membres est trop disparate. Ces divergences se sont même accentuées avec la crise de la dette souveraine. Quel rapport entre les besoins d'une économie comme celle de l'Allemagne et celle de la Grèce ?
Et nous, que devons-nous faire ?
Vous le savez, à MoneyWeek, nous n'aimons pas particulièrement nous vanter – surtout qu'il nous arrive aussi de nous tromper. Mais, le scénario du pire – un scénario contre lequel nous vous mettons en garde depuis plus d'un an – est en train de se produire sous nos yeux. La contagion aux banques (via par exemple les CDS ou encore contrats d'assurance vie en euros) a commencé, et les établissements français sont particulièrement exposés, non seulement à la Grèce mais aussi et surtout à l'Espagne et l'Italie. Or Standard & Poor's vient d'abaisser la note de l'Italie. Ce scénario progressif de contagion est à prendre très au sérieux.
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