Or Noir & Déprime des Marchés
La Fed a déçu les marchés mercredi par une communication jugée illisible
: Ben Bernanke souligne le niveau alarmant de l'inflation mais ne se déclare pas résolu à la combattre (la BCE au moins affiche la couleur), et il minimise le risque de récession mais ne se prononce pas sur les perspectives de l'économie américaine à moyen terme, écrit Philippe Béchade pour La Chronique Agora. Les marchés comprennent que le cycle de détente de taux est terminé... pour l'instant, mais que se passera-t-il si la conjoncture US se dégrade ?
Les plus pessimistes estiment que s'il décidait de réduire le prime rate de 50 points supplémentaires, cela ne soutiendrait ni la croissance américaine, ni même Wall Street. Le ressort de la hausse est cassé : les investisseurs ont pris conscience, avec la chute des marchés immobiliers (aux Etats-Unis, en Angleterre, en Espagne), que le cycle économique est rentré depuis plus d'un an dans une phase de contraction.
La déprime des marchés est aggravée par la soudaine évaporation de centaines de milliards de dollars d'argent virtuel qui circulait dans les "conduits". Il s'agit là bien entendu des entités financières qui servaient de contrepartie aux banques dans le cadre de la titrisation des dérivés de crédit.
Sans flux de liquidités, la City de Londres, le sud de Manhattan et Wall Street se comportent comme les turbines d'un barrage dont le réservoir serait à sec : la production d'énergie (de nouveaux crédits) est au point mort, l'économie mondiale se retrouve privée de courant.
Le baromètre de la confiance des investisseurs dans le "système", c'est le dollar... et celui-ci est en pleine déliquescence. Le phénomène n'est certes pas nouveau mais il s'annonce durable -- et le réflexe consistant à l'arbitrer systématiquement au profit de l'euro et du pétrole nous cause, en Europe, un tort considérable.
Voici la bourse de Paris (-0,65%... et une clôture sous les 4 400 points) ramenée pratiquement trois ans en arrière, sur ses niveaux d'octobre 2005. La dernière séance de la semaine dernière a été éprouvante une fois encore, avec un trou d'air de -80 points survenant entre 9h30 et 10h alors que le baril de pétrole bondissait de 2 $, entre 139,5 $ et 141,5 $... puis 142,3 $ vers midi.
Le CAC 40, pratiquement revenu à l'équilibre vers 17h, rechutait de 0,9% à un quart d'heure de la clôture, compte tenu de l'incapacité de Wall Street à préserver ses gains initiaux. Enfin, la perte de confiance générale dans la capacité des économies occidentales à échapper à la stagflation poussait les investisseurs et les traders à réduire la voilure à la veille du week-end. Le premier semestre 2008 s'achèvera lundi : il se solde par une perte de 22% à Paris et 24% pour l'Euro-Stoxx 50 (-0,77% ce vendredi).
Le CAC 40 affiche -2,5% sur la semaine écoulée ; l'indice a refermé un gap à 4 348 points remontant au 28 octobre 2005 (le mois de juin faisait alors apparaître un score supérieur à -13%, équivalent à celui observé au mois de janvier).
Pour résumer la situation, le CAC 40 perd en six mois ce qui fut perdu en un an en 2001, en plein éclatement de la bulle des dot.com. Le Dow Jones (-0,9% à 11 350 points) cumule une perte de 4% sur la semaine. Le Nasdaq (-1% sous les 2 300 points) en est à -4,5%, et le S&P 500 (-0,7%) menace le support majeur des 1 270 points.
Le vent de déprime qui souffle depuis le 2 juin dernier se transforme en bourrasque avec la nouvelle flambée du baril de brut qui a dépassé le seuil des 142 $ vendredi. Rappelons qu'il avait franchi pour la première fois le cap des 140 $ jeudi soir, faisant s'effondrer Wall Street. Ce regain de vigueur de l'or noir intervient au lendemain des déclarations du président de l'OPEP, qui n'a pas écarté une flambée estivale jusqu'à 150 $ ou 170 $, voire 300 $ en cas d'intervention militaire en Iran. Nous avons d'ailleurs déjà attiré votre attention sur l'aléa géopolitique : G.W. Bush et son administration n'ont plus que quelques semaines pour approuver un coup de semonce -- ou des frappes plus massives -- à l'encontre de Téhéran, qui réaffirme ne pas vouloir renoncer à son programme d'enrichissement de l'uranium.
Dans ce contexte tendu, l'annonce par le département du Commerce US d'une hausse des dépenses des ménages américains (elles ont augmenté de 0,8% en mai) n'aura apporté qu'un bref répit dans la spirale baissière. Les gérants américains savent bien que cette embellie n'est due qu'au chèque de 800 $ reversé à chaque contribuable américain.
Selon les statistiques publiées ce vendredi, le revenu des ménages a grimpé de 1,9% en mai, après des hausses de 0,3% en avril comme en mars.
L'indice PCE, une mesure de l'inflation particulièrement surveillée par la Réserve fédérale, a progressé de 0,4% le mois dernier, après une hausse de 0,2% en avril. L'indice core a augmenté de 0,1%, même rythme que le mois précédent... mais avec un pétrole à 141 $, l'inflation "ressentie" et le pouvoir d'achat "réel" sont en train de divorcer radicalement, comme en témoigne la chute de l'indice de confiance du Michigan (-3,4 points à 56,4).