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La Chine Muscle Son Marché De L'Or

Nous vous l'avons assez dit : le développement de la Chine repose sur un "capitalisme maîtrisé".

Depuis la fin des années 70, le Grand Timonier de l'Empire du Milieu est l'Etat. Un Etat qui manoeuvre aussi doucement que le pays est immense, et qui sait où il va. Bref, la Chine met tout en oeuvre pour gagner sa place dans la cour des grands. Cela vaut aussi pour l'or : pour les Chinois, il est de plus en plus aisé d'accéder au métal jaune...

Vous le savez déjà si vous nous avez lu : avec une production de l'ordre de 270 tonnes l'année dernière, la Chine est maintenant en tête des pays producteurs d'or, devant l'Afrique du Sud. Sa croissance économique de l'ordre de 10% l'an stimule la demande de métal, qu'elle provienne des particuliers ou des entreprises.

Libéralisation aurifère à la chinoise

Discrètement, la Chine s'est dotée d'un marché de l'or, mettant fin à 50 années d'un monopole d'Etat exercé par la Banque populaire de Chine -- la banque centrale chinoise. C'était en octobre 2002, lorsque le Conseil d'Etat a créé la Bourse de l'or de Shanghai, (Shanghai Gold Exchange, SGE). On ne peut pas dire que Pékin soit bien loin, puisque c'est la banque centrale chinoise qui s'en est occupé.

Depuis lors, la Chine n'en dispose pas moins d'un marché organisé du métal jaune, sur lequel acheteurs (comme les joailliers, les banques, etc.) et vendeurs (principalement les groupes miniers) peuvent se "rencontrer". En outre, le SGE respecte des règles proches de celles du LBMA, le marché international de Londres, le plus important au monde pour le négoce physique de l'or. On notera d'ailleurs que parmi les principes qu'il annonce respecter, le SGE cite (texto), "l'ouverture, l'équité, la justesse, et l'honnêteté". N'est-ce pas magnifique...

Les tribulations de l'or en Chine
La Chine voit loin, en voici la preuve. Lors d'une conférence organisée à Lisbonne en 2003, Shen Xiangrong, président du SGE, a fait part de ses trois principaux objectifs : "ouvrir le marché de l'or à l'investissement en proposant la livraison physique du métal" ; "attirer les investisseurs individuels en proposant de nouveaux produits", car "nous considérons le marché des investisseurs individuels comme un complément naturel du marché physique" ; et enfin "intégrer la Bourse de l'or de Shanghai aux marchés internationaux afin d'en faire un marché financier centré sur l'activité d'investissement".

Le ton est clair : cette Bourse de l'or a été créée pour faciliter le négoce du métal fin dans le pays, ce qui revient à dire qu'elle contribue à étendre le marché de l'or. Autre qu'il vous fait bien noter : dès le départ, les Chinois envisagent l'or comme une matière première, mais aussi comme un véhicule d'investissement.

Qui profite de cette Bourse ? D'abord, comme le remarque Shen, les particuliers chinois : avant 2002, c'était au camarade Banquier central qu'il fallait s'adresser pour échanger de l'or. Autant dire que la détention de métal était difficile, et que la confiance ne régnait pas vraiment... Grâce à cette Bourse de l'or et à ses différents courtiers, les Chinois peuvent acheter et vendre des produits d'investissement en or (par exemple, la pièce "panda" pesant une once d'or, mais d'autres produits sont à l'étude), suivant un prix de marché affiché en yuans par gramme. C'est tout de même plus pratique !

Gold is business
Bien évidemment, les particuliers ne sont pas les seuls visés. En organisant son marché de l'or, la Chine souhaite aussi -- et, dirais-je, avant tout -- servir les intérêts de sa "communauté des affaires", en mettant à sa disposition une gamme de produits aurifères similaire à celle dont disposent les sociétés occidentales. Mineurs, joailliers, bijoutiers, mais aussi industriels de l'électronique et sociétés de services financiers : tous sont concernés.

Certes, le marché de l'or "au comptant" qu'est le Shanghai Gold Exchange constituait un bon début. Mais ce n'était pas suffisant : pour se prémunir des fluctuations des cours du métal jaune -- ou pour en profiter --, les industriels -- ou les investisseurs... -- ont aussi besoin de produits dérivés. Par exemple des futures, ou "contrats à terme" en bon français. Un future est un contrat par lequel des parties s'engagent à acheter -- ou à vendre -- une certaine quantité d'un produit, à une date et un prix fixés à l'avance. Ces contrats sont bien connus des courtiers américains du Nymex. Aux Etats-Unis s'échangent des futures sur toutes les matières premières, de l'or noir à l'or jaune en passant par le soja et le boeuf.

Depuis un mois, les courtiers chinois peuvent faire de même sans quitter l'Empire du Milieu. Le 28 décembre dernier, le régulateur chinois a donné son feu vert à la négociation de contrats à terme sur l'or. Où donc ? Sur le Shanghai Futures Exchange, qui traitait déjà des futures sur le zinc, le pétrole et le polyéthylène.

Le future commence le 9 janvier
Retenez bien ce jour : à Shanghai, la cotation des futures aurifères a commencé le 9 janvier dernier. Il s'agit de contrats libellés en yuans portant sur 1 kilo de métal jaune. Selon une rumeur de marché, au début, le contrat ne devait porter que sur 300 grammes, mais ce poids aurait finalement été relevé... afin de décourager les particuliers amateurs d'émotions spéculatives. Le Chinois est joueur... Bref. Au terme du contrat, il est possible de se faire payer sa valeur en yuans, ou de prendre livraison du poids de métal correspondant.

Selon un porte-parole du marché à terme de Shanghai, le but de ces contrats est de faciliter "la détermination du prix de l'or et de permettre la couverture des risques de prix", la livraison physique n'étant pas l'objectif principal. Pour cela, le Shanghai Futures Exchange invite à se reporter vers le Shanghai Gold Exchange, où la bagatelle de 1 800 tonnes d'or ont changé de mains en 2007, selon People Daily (09/01).

Shang Fulin, patron de la Commission de régulation des services financiers, a déclaré au journal China Daily (10/01) que "les contrats à terme sur l'or étendront la gamme de 'futures' actuellement disponibles, alors que ces derniers jouent un rôle de plus en plus important dans la stabilisation des marchés financiers, et qu'ils sont utiles la croissance économique nationale".

Patron du groupe minier Shandong Gold, Shi Min s'est immédiatement félicité de l'arrivée de ces contrats qui, je n'en doute pas, vont faciliter la vie de son directeur financier : "le lancement des 'futures' sur or tombe à point nommé. Alors que le métal jaune atteint des niveaux record, les mineurs ont plus besoin que jamais de se couvrir contre la forte volatilité des prix résultant des changements brutaux du sentiment du marché".

Les financiers à l'affût
Bien évidemment, les industriels ne sont pas les seuls à fêter l'arrivée de ces nouveaux instruments financiers. D'ailleurs, le maire adjoint de Shanghai, Feng Guoqin, a déclaré (toujours à China Daily, le 10/01) que ces nouveaux contrats à terme "reflètent l'accélération du développement de Shanghai en tant que centre financier". Il n'a pas échappé aux banquiers que l'extension des produits financiers basés sur l'or est de bon augure pour le marché de l'épargne : on ne parle pas encore d'ETF en Chine, mais d'autres pays émergents -- comme l'Inde -- s'y sont déjà mis.

En tout cas, Jeffrey Christian, PDG du bureau d'études américain en matières premières CPM Group. Jeffrey Christian note que la Chine devient progressivement l'un des premiers producteurs d'or au monde, un grand raffineur ainsi qu'un marché de choix pour la bijouterie. Il y va même de sa prévision : "la Chine va devenir aussi un grand marché pour les investisseurs. Elle aura donc un influence croissante sur les prix de l'or".

Alors que les volumes de négociation des futures chinois sur l'or sont pour l'heure limités, Jeffrey Christian rappelle : "les acteurs du marché chinois devraient se souvenir que lors de la cotation des premiers 'futures' sur or au Japon et aux Etats-Unis, dans les années 70 et 80, les volumes initiaux était faibles. Mais plus tard, ces deux pays sont devenus les principaux centres de négociation des contrats aurifères. Il pourrait très bien se passer la même chose sur le marché chinois".

Avis aux amateurs : le dragon chinois se nourrit aussi d'or, il a de l'appétit, et de quoi payer l'addition.

Emmanuel Gentilhomme est journaliste et rédacteur financier. Il a collaboré à plusieurs reprises avec le Journal des Finances et la Société Générale et contribue à la lettre électronique gratuite L'Edito Matières Premières . Il suit de près les marchés boursiers européens et étrangers, mais s’intéresse également à la macroéconomie et à tous les domaines de l’investissement.

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