L’or, le Brexit et la dévaluation passée et actuelle de la £
Comment en 1967 la dévaluation de la livre sterling a tué l’étalon or…
« Le weekend dernier a marqué le 50ème anniversaire de la tristement célébre dévaluation de la devise britannique par Harold Wilson », écrit Adrian Ash pour BullionVault.
Quel rapport avec l’or et le Brexit ?
Espérant diminuer le déficit commercial en rendant les importations plus chères et les exportations meilleur marché, le premier ministre de l’époque avait déclaré que la livre dans la poche des consommateurs ne serait pas dévaluée, seulement son taux de change international. Cette mesure a déclenché une décennie d’inflation record (le type d’inflation seulement observée en temps de guerre) et a rendu le parti travailliste non éligible pendant des années.
L’histoire de la dévaluation du pound en 1967 vaut la peine d’être revisitée aujourd’hui. Quand les politiciens décident de ne plus défendre la valeur de la livre, comme en 1967 et actuellement, la perte imposée par les marchés des changes depuis le référendum du Brexit l’an passé se voit aussi dans le coût de la vie.
Ce qui est plus inquiétant encore, ce sont les dissensions actuelles au sein du gouvernement conservateur concernant le retrait du Royaume-Uni de l’Union Européenne. Ce qui risque d’engendrer des liquidations supplémentaires de la livre à l’approche de la date butoir de mars 2019. Pendant ce temps, le déficit commercial du pays s’accroit vers de nouveaux volumes records.
L’affirmation de Wilson le 19 novembre 1967 était techniquement vraie. Chaque pound valait toujours 20 shillings ici chez nous.
Mais abaisser le taux de change de 2,80 à 2,40 dollars la nuit précédente voulait dire une dévaluation en termes réels pour notre économie très dépendante des importations. C’était aussi une humiliation politique, qui a poussé le chancelier de l’époque à démissionner immédiatement.
Si le discours de Wilson n’était pas tout à fait « la déclaration la plus malhonnête jamais faite », comme la qualifiait la semaine suivante l’opposant politique conservateur Edward Heath au parlement, il s’est avéré manifestement faux au cours de douze mois suivants.
La dévaluation de la £ de 14% des travaillistes a stimulé en 1968 les exportations de 22%. Mais le prix des importations s’est accru de 19%, éliminant une bonne partie de l’effet attendu et diminuant seulement d'à peine 20% le déficit commercial du pays en biens.
L’inflation du coût de la vie a entretemps bondi de plus de 6% par an, son taux le plus important en 15 ans. L’inflation a atteint les deux chiffres à l’été 1971, et est restée à ce niveau presque sans interruption jusqu’aux taux d’intérêt à deux chiffres et la forte récession au début des années 1980.
Le taux de change GBP - USD aujourd’hui s’est encore divisé par deux par rapport au niveau de la dévaluation de 1967, alors que le pouvoir d’achat domestique a chuté de plus de 94%, selon les chiffres de l’office national des statistiques.
Les tendances et niveaux des dépenses des ménages ont bien sûr changé ces 50 dernières années, plus drastiquement avec les voyages à l’étranger et les biens électroniques. Comme dans les 1960s, la menace d’une nouvelle chute de la sterling aujourd’hui semble plus impacter le coût des biens de consommation obligatoires, avec la nourriture et l’énergie en tête.
- Le recensement de 2011 indique que 83% des résidents en Angleterre et au Pays de Galle détenaient un passeport (plus de 9/10 étant britanniques). Comparé à 1967, les gens au Royaume-Uni ont maintenant 11 fois plus de chance de voyager à l’étranger selon les données officielles, soit 72,7 millions de séjours hors-frontière au cours de douze derniers mois. Il s’agit de plus d’un voyage par personne par an, dépassant le record précédent de 2007, juste avant que la livre n’ait chuté d’un tiers dans le contexte de la crise financière mondiale, de la diminution des taux directeurs par la Banque d’Angleterre et de l’assouplissement quantitatif qui a suivi.
- La dépendance du RU envers les importations d’énergie a chuté par rapport à ses niveaux du début des années 1970, à plus de 50%. Mais la production de la Mer du nord a culminé en 1999 et nous avons cessé d’être des exportateurs nets en 2004. Nous comptons maintenant sur les importations pour 40% de nos besoins énergétiques. L’énergie renouvelable a satisfait une part croissante, proche de 10%, mais c’est une livre forte qui a aidé à contrebalancer la dernière hausse des coûts énergétiques. L’envol des prix des commodités en début des années 2000 a coïncidé avec la plus forte et la plus stable période de la livre contre les autres devises majeures du monde, non observée depuis avant 1967, et plafonnant le bond des prix à la pompe et les factures de consommation. La hausse de 31% des prix du brut en sterlings n’a pas encore atteint les stations essence, mais les tarifs de gros plus importants seront inévitablement passés aux automobilistes, selon l’observateur Fuel Watch de l’assureur RAC. Ses données montrent déjà que les prix du pétrole ont grimpé de plus de 5% et que le diesel a augmenté de 7% depuis le vote du Brexit.
- Quel est le risque d’infiltration de la devise faible vers le coût de la nourriture ? En comparant la production et la consommation de nourriture au Royaume-Uni, on observe que notre autonomie a baissé vers les mêmes niveaux des 1960s. C’est un fait perturbant, a indiqué le syndicat national des fermiers, mais un fait qui montre aussi plus d’efficacité. Le nombre de terres arables a été réduit de 15% au cours de cette période. Si nous n’exportions pas ce que produit maintenant le pays, nous pourrions satisfaire 60% de nos besoins de 2016. Ce chiffre est inférieur au pic de 78% du milieu des années 1980. Le pays a importé l’an passé plus de 10 milliards de livres de biens et exporté un milliard seulement dans la filière des fruits et légumes. Pour les boisons, nous notons un surplus et seulement parce que nous exportons beaucoup de whisky écossais.
Donc, un investissement dans le scotch mis à part, que peuvent faire les épargnants pour éviter la menace aujourd’hui d’une nouvelle baisse de la livre ?
L’or avait immédiatement réagi à la dévaluation de la GBP en 1967 et pas seulement en termes de livres. Le secrétaire au Trésor américain, Henry Fowler, avait qualifié la décision de Wilson de « pas vers l’abysse » pour le système monétaire mondial dans son entier. Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, le système avait maintenu la valeur du dollar fixée à l’or, avec les autres devises fixées au dollar. Mais la politique "guns and butter" des US lors de la guerre du Vietnam, ainsi que les dépenses sociales croissantes, ont engendré une inflation massive de l’offre monétaire. Ce qui a mis le système sous forte pression. La demande d’investissement en or des investisseurs privés avait anticipé que la parité du dollar/or à 35 dollars l’once n'aurait pas pu tenir.
Menées par les USA, les huit banques centrales ont depuis 1961 mis leurs ressources en commun dans le London Gold Pool pour plafonner le prix de l’or, vendant du métal sur le marché de Londres (le centre du marché des grossistes dans le monde) chaque fois que le prix augmentait au-dessus du niveau de la parité officielle. Mais la France avait déjà abandonné ce pool de l’or de Londres. Les autres sept pays ont été submergés par la réponse du marché à la dévaluation britannique. Au cours des mois suivants, le marché de Londres a géré à 9 reprises son volume normal d’ordres, a écrit Timothy Green dans son livre The Ages of Gold. Tout au long de l’année 1967, les banques centrales ont vendu ensemble 1 400 tonnes sur le marché, soit plus d’un an de production minière annuelle dans le monde à l’époque. Mais l’appétit du marché à 35 dollars l’once ne pouvait pas être satisfait.
Le mois de mars suivant, alors que les Vietcongs lançaient leur offensive du Têt contre les forces du sud du pays et des US, un sénateur américain demandait dans un discours la fin des pertes des réserves d’or pour futilement défendre la valeur du dollar. La demande a alors bondi de nouveau, avec des avions supplémentaires nécessaires pour transporter l’or américain vers Londres.
Green rapporte que tellement d’or avait été transporté « dans les coffres de la Banque d’Angleterre que le sol de la salle des pesées s’était écroulé ».
Le Pool de l’or des banques centrales a tenu une réunion d’urgence en Suisse. Roy Jenkins, le nouveau chancelier britannique, a alors déclaré un jour férié pour les banques, fermant le marché de Londres.
Zurich a aussi fermé. Paris est resté ouvert, où l’or a immédiatement coté à 44 dollars l’once. Quand le marché de Londres a ouvert de nouveau le 1er avril 1968, sans le gold pool des banques centrales et après deux semaines de fermeture, le prix était maintenant coté en dollars US, pas en livres sterling.
L’humiliation de la Grande-Bretagne dans les affaires monétaires était ainsi complète.
L’or a finalement été libéré de sa parité au dollar en 1971 quand Nixon céda aux pressions, comme l’avait fait Wilson avant lui. Mais cette fois avec de l’or comme ancre ultime qu’il a choisi de lâcher. Le monde est passée depuis aux taux de change flottant, jugés presqu’universellement comme une bonne chose aujourd’hui. Mais cela ne pourrait pas paraître si attrayant pour les épargnants et consommateurs se demandant ce qui s’est passé avec la livres sterling dans la poche, dans le porte-monnaie ou à la banque.
Le cours de l’or a maintenant été multiplié par 75 en termes de livres sterling ces 50 dernières années. C’est une hausse plus importante que l’immobilier britannique (avec un facteur multiplicateur impressionnant de 56 tout de même). Le métal continue d’offrir aux épargnants et aux investisseurs un refuge en cas de crise financière ou de volatilité économique. Il pourrait s’avérer être un rempart utile alors que la décision du Brexit force un autre changement d’ampleur de notre relation avec le reste du monde.
Ceci dit, je me demande une chose : sans avoir eu son mot à dire sur ceux qui décident de la politique de la Banque d’Angleterre, l’électorat britannique a enduré une décennie de taux de croissance des salaires nuls en termes réelles avant le référendum de l’an passé. Les épargnants ont aussi souffert des taux directeurs réels sous zéro de la banque et du programme de création de monnaie dans le cadre du QE.
Le gouverneur de la banque centrale, Mark Carney, a aligné la politique de la banque avec les partis politiques principaux et a mis en garde plusieurs fois contre une sortie de l’UE. Parmi toutes les raisons choisies par les experts pour le résultat choquant, l’histoire pourra dire que c’est Carney, une personnalité non élue, qui a été mise en cause pour le Brexit.
Qui sera blâmé si les marchés dévaluent encore plus la livre maintenant alors que la date butoir de mars 2019 approche ? Les responsables politiques espérant une stimulation des exportations par une faible devise feraient bien de se souvenir de l’exemple de Wilson en 1967.